Une page a été tournée

France - élection présidentielle 2007


Comme l'annonçaient les sondages, l'élection présidentielle se conclut par la victoire claire et nette de Nicolas Sarkozy. Celle-ci est d'abord un succès personnel, car avant de s'imposer, le nouveau président a dû surmonter, depuis plusieurs années, un grand nombre d'obstacles, y compris dans son propre camp.
Symétriquement, ce résultat est un échec personnel pour Ségolène Royal, qui avait dû, elle aussi, batailler fort pour s'imposer comme la candidate socialiste, et dont la campagne a été marquée par de fortes tensions avec l'appareil du PS.
Ce résultat est conforme à la réalité sociologique de la France, et à sa «droitisation» générale: Nicolas Sarkozy a su capter les attentes majoritaires de la population, et s'installer au lieu géométrique le plus central qui soit. Il est enfin la marque d'un début de recomposition du système politique français.
Depuis plusieurs années, les spécialistes insistaient sur la crise de la démocratie représentative, ou sur le déficit du politique: or, voici qu'aux deux tours, les électeurs se sont sentis massivement concernés par cette élection. Mais la recomposition est loin d'être achevée, car la bipolarisation de la vie politique française qui devrait en être le résultat ne s'effectue pas de la même façon à droite et à gauche.
À droite, l'UMP, sous la direction de Nicolas Sarkozy, est devenue un grand parti populaire, une machine relativement puissante, aux orientations à dominante républicaines en matière institutionnelle, libérales et ouvertes à l'Europe et au monde en matière économique, et autoritaires et conservatrices en matière culturelle et morale. Par contre, la gauche a pris du retard dans sa modernisation. Elle n'a pas su, jusqu'ici, produire son aggiornamento, elle est restée prisonnière de ses conflits entre courants, les uns «vieille gauche», marxisants, et qui avaient voté «non» au référendum pour le Traité constitutionnel européen (en mai 2005), les autres ouverts au marché et soucieux d'ancrer la France dans la mondialisation comme dans l'Europe.
Troisième larron
La campagne de Ségolène Royal a «ringardisé» le leadership du PS, les «éléphants» comme on dit; puis elle a indiqué, en fin de parcours, que la seule voie possible, pour l'avenir, est celle d'une orientation massivement social-démocrate. Son échec remet d'autant moins en cause cette orientation qu'un troisième larron, François Bayrou, avait réussi à obtenir 18,5 % des voix au premier tour, sur la base d'un projet centriste dans lequel se sont reconnus un certain nombre d'électeurs de gauche désireux de marquer leur ancrage du côté de la social-démocratie, des réformes négociées, de la négociation et d'un certain pragmatisme économique.
L'avenir de la gauche, si elle ne sombre pas dans ses querelles internes, n'est plus dans l'alliance avec des forces d'extrême-gauche qui ont échoué, ni avec le PCF, qui est politiquement décédé, ni même avec les Verts, dont le score a été dérisoire au premier tour. Il est dans l'articulation avec le parti que tente de créer François Bayrou, comme si la bipolarisation française, pour être achevée, appelait l'existence de trois partis, et non pas deux: le PS, s'il parvient à faire son «Bad Godesberg» (du nom de la ville où les socialistes allemands, en 1959, ont opté pour la social-démocratie), le Mouvement démocrate annoncé par Bayrou, qui apparaît dans ce scénario comme une force de centre-gauche, et, pour la droite, l'UMP.
Élections législatives
Nicolas Sarkozy va mettre en place un gouvernement dont l'existence sera brève, puisqu'elle prendra fin avec les résultats des élections législatives qui auront lieu en juin prochain. Autant dire que la première tâche du nouveau président et de ce gouvernement sera de préparer ces élections en faveur de leur camp. Il est vraisemblable que l'électorat se comportera de manière cohérente et qu'il votera majoritairement en faveur de l'UMP. Très vite, alors, le nouveau président devrait mettre en oeuvre son programme, en particulier à propos de l'immigration, peut-être aussi en matière de relance de la construction européenne.
Ainsi prendra fin une longue période électorale qui a passionné les Français. La France est sortie du doute sur son système politique, ses partis, leurs dirigeants, elle n'est plus ce pays qu'elle était encore il y a six mois, enfermé dans l'inquiétude, la hantise du déclin, l'incapacité à se projeter politiquement vers l'avenir autrement que sur le mode défensif du populisme. Elle en a fini avec la crise du politique, et on peut espérer, compte tenu des engagements de son nouveau président, que cela se traduira assez vite par des changements importants.
Le dépassement de la crise du politique ne signifie nullement que tout sera simple pour le pouvoir qui s'installe. La situation financière est très mauvaise, avec le poids considérable de la dette; le taux de chômage demeure élevé, même si les chiffres les plus récents sont encourageants. Mais aussi bien du côté des vainqueurs que dans le camp des perdants, tout le monde a la plus vive conscience qu'une page a été tournée, et que la France entre dans une nouvelle ère de son histoire.
***
Michel Wieviorka
L'auteur est directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, à Paris.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé