Fallait-il que la nouvelle bâtonnière, à peine élue, démissionne ? Pour un vol à l’étalage dont Lu Chan Khuong n’a jamais été accusée ?
C’est clairement ce que pensent les membres du conseil d’administration de l’Ordre des avocats, qui vient de la suspendre.
Il me semble que ces gens vont unanimement un peu vite en affaire.
Ce qu’on sait jusqu’ici, c’est qu’en avril 2014, elle a été arrêtée à Laval à la sortie d’un magasin Simons, avec deux jeans impayés. L’employée, conformément à la politique du magasin, a appelé la police. Devant un tel flagrant délit, le dossier a été transmis à un procureur.
Selon Lu Chan Khuong, il s’agit d’une erreur de bonne foi. Elle avait avec elle un sac contenant deux autres jeans achetés dans un Simons de Québec et déjà payés. Au lieu de payer les deux nouveaux jeans, elle a repayé ceux de Québec.
En pareil cas, si sa version est vraie, ce n’est pas un vol. C’est une erreur banale.
L’employée de la sécurité, le policier ou le procureur auraient pu laisser tomber l’affaire. On ignore pourquoi ils ne l’ont pas fait.
À la fin, le procureur a plutôt procédé à une « déjudiciarisation ». Cela se fait à la pelletée pour des infractions mineures commises par des personnes sans antécédents. Le procureur pense qu’il pourrait faire un procès, mais consent à ne pas porter d’accusation. Par contre, le nom de la personne est conservé dans un registre confidentiel en cas de récidive.
Cela ne suppose pas d’aveu de culpabilité ni de reconnaissance des faits par la personne visée. D’ailleurs, Lu Chan Khuong nie depuis le début avoir commis un vol.
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Je répète donc la question : est-ce une raison pour que le Barreau force sa présidente à démissionner ? Clairement non, tant qu’on n’a que ces faits sous la main : une absence d’accusation et une explication crédible non contredite.
Ce serait bafouer doublement la présomption d’innocence, ce qui pour le Barreau serait tout de même le comble.
Le Barreau justifie la « suspension » de la bâtonnière autrement. On lui reproche les commentaires sur le système judiciaire qu’elle a faits au collègue Philippe Teisceira-Lessard dans La Presse d’hier.
Je ne vois rien pourtant de terriblement méprisant pour la justice dans ses propos. Elle dit avoir accepté une entente de déjudiciarisation « pour éviter le tapage médiatique et éviter de perdre [mon] temps à la cour, pour éviter tout ce processus ».
Il est évident qu’un procès de cette avocate bien connue à Québec, même avant d’être élue bâtonnière, aurait fait grand bruit. D’autant que Me Lu Chan Khuong est la conjointe d’une autre vedette du Barreau, l’ex-ministre de la Justice Marc Bellemare. Qui voudrait se soumettre à ça ?
Ceux qui sont choqués parce qu’elle parle de « perdre son temps » n’ont pas dû visiter de palais de justice récemment ou vivent dans une réalité parallèle.
Ce n’est évidemment pas perdre son temps que de se défendre d’un crime qu’on n’a pas commis. Mais si la justice vous offre de ne pas vous accuser, il faudrait en effet avoir bien du temps à perdre pour refuser !
Quoi, elle aurait dû préférer se défendre publiquement, héroïquement, insister pour se faire acquitter au cas où quelqu’un quelque part irait divulguer l’information – confidentielle – dans les médias ?
Ce n’est pas sérieux.
On lui reproche également de n’avoir pas informé le conseil d’administration du Barreau de son arrestation. Les dirigeants ont en effet une obligation de transparence. L’arrestation d’un dirigeant du Barreau est sûrement un fait pertinent à communiquer à la direction.
Au jour de l’arrestation, en avril 2014, Lu Chan Khuong siégeait à diverses instances du Barreau, mais n’était pas encore vice-présidente – elle l’est devenue en juin 2014, puis elle a été élue bâtonnière (ou présidente) en mai 2015.
Aurait-elle dû informer le conseil de la déjudiciarisation survenue en juin 2014 ? Ça se discute. Mais à ce point précis, l’affaire était close et n’aurait pas de suite. Elle n’aurait jamais de casier pour ça. Et c’était censé demeurer confidentiel.
On peut se demander comment il se fait que le programme soit appliqué à une avocate – ou à tout représentant de la loi. Mais le fait est qu’il l’a été.
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Le fait de ne pas dévoiler tous les détails d’un événement pour lequel elle n’a pas été accusée serait-il un péché capital ? C’est ce que dira le conseil, Code en main.
J’ai plutôt l’impression qu’on ne la croit pas et qu’on la condamne indirectement pour cette infraction non prouvée, sans le dire.
Devant un tel vote unanime du conseil, il est clair que la bâtonnière sera destituée. Techniquement, on élira à même le conseil un nouveau bâtonnier. Mais on est au tout début du premier mandat de deux ans de bâtonnat de l’histoire du Barreau.
Je vois mal comment le Barreau s’en sortirait sans une nouvelle élection – où les membres pourraient décider de la réélire en toute connaissance de cause.
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