Monsieur le premier ministre,
Le conflit étudiant dure depuis maintenant 13 semaines et rien n'indique, au moment d'écrire ces lignes, qu'il y a une parcelle de lumière au bout du long tunnel que traversent les étudiants en grève.
Ce conflit, que je compare à la crise d'Octobre 1970, par son intensité et son bain de politisation immense, laissera des traces indélébiles. Rappelez-vous, Monsieur le premier ministre, que six ans après la crise d'Octobre et l'envoi des forces armées dans nos rues pour terroriser la population, le Parti libéral perdait les élections et le Parti québécois s'installait à Québec, malgré tout l'arsenal de terreur mis en place par les autorités du temps. Mais cette fois-ci, nous n'attendrons pas six ans.
Des milliers de jeunes étudiants, âgés pour la plupart de 18 à 30 ans, ont découvert que la démocratie qu'on leur avait présentée à travers de beaux discours et de manuels savants, n'avait rien à voir avec celle qu'ils connaissent actuellement dans leur lutte légitime contre la hausse des frais de scolarité.
Ils ont discuté, débattu et voté lors d'assemblées générales qui ont pu paraître interminables (« aussi longues que les discours de Fidel Castro », m'a dit l'un deux) mais ô combien enrichissantes. Ils sont descendus dans la rue en décidant de leur propre parcours; ils ont inventé leurs propres slogans, leurs propres chorégraphies et danses, leurs costumes ou non costumes comme lors de cette manifestation originale et drôle en sous-vêtements.
Ils ont connu la violence policière, les bombes assourdissantes, les gaz irritants et poivrés, les grenades de gaz lacrymogène lancés en pleine figure, les coups de matraque et de fouet (oui, les policiers ont même utilisé le fouet, comme dans les châtiments imposés aux femmes dans les pays musulmans où l'on applique la charia), les balles de caoutchouc et de plastique, les commotions sévères, les blessures graves (perte d'un œil, d'une oreille, fractures diverses, etc.) et la présence terrorisante des policiers matraqueurs à cheval.
Auparavant, tout cela n'était qu'images vues à la télé et appartenait à d'autres pays, à d'autres continents, à d'autres réalités loin de la nôtre, si tranquille. Sur les médias sociaux, on a vu des images d'horreur qu'on croirait venir directement du Chili de 1973.
Les étudiants, nos enfants (j'en ai trois qui sont en grève), ont parcouru des centaines de kilomètres, à pied ou en autobus, ils se sont levés très tôt le matin et se sont couchés très tard le soir, bravant le froid et la pluie. Ils ont connu les injonctions ordonnées bien souvent par des juges accoquinés au régime en place et les invasions barbares de leurs locaux scolaires par des policiers armés et non identifiés, ce qui en soi correspond à une violation de domicile car les lieux du savoir devraient être inviolables.
Ils ont vécu le stress et maintenant une immense détresse. Leur session est menacée sinon reportée à l'automne. Leur travail d'été qui sert à payer une partie de leurs frais durant l'année scolaire, dans un camp de jour, un dépanneur, une station-service, une librairie, un supermarché, un commerce de vente au détail, un restaurant, un festival d'été, ou encore un stage en entreprise ou dans un hôpital est maintenant compromis et cela signifie moins d'argent, plus d'insécurité et plus d'endettement.
Nos enfants n'en demandaient pas tant, Monsieur le premier ministre. Loin de moi de vouloir en faire des victimes, car ils ont choisi de lutter pour la gratuité et l'accès le plus large au savoir, ils paient néanmoins le gros prix pour leur engagement social. Vous avez préféré faire preuve d'une intransigeance indigne et injustifiée et votre stratégie manifeste consiste à laisser pourrir la situation, à semer la pagaille et le chaos, sachant que l'irréparable peut se produire et que vous en retirerez un capital politique pour assurer votre réélection. C'est cheap comme calcul et l'histoire vous jugera.
Vous avez préféré envoyer au front votre sinistre ministre de l'Éducation, qui n'a certes pas l'étoffe d'une négociatrice, et jouer les fanfarons devant des hommes d'affaires alléchés par votre Plan Nord, comme si ces territoires vous appartenaient personnellement. Votre superbe vous coûtera votre poste, Monsieur le premier ministre, nous nous le promettons tous. Ce sera notre cerise sur le sundae, après tous ces coups et blessures que nous subissons tous à des degrés divers. (À suivre)
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