«Intellectuels: ils sont plutôt le déchet de la société, le déchet au sens strict, c'est-à-dire ce qui ne sert à rien, à moins qu'on ne les récupère.» - Roland Barthes
Si les mots du penseur français Roland Barthes sont encore d'actualité, c'est que l'homme, sémiologue érudit mais aussi homme du monde, avait trouvé les moyens de discuter avec son époque. Il est vrai que l'intellectuel québécois attend trop souvent qu'on aille le chercher avant de se prononcer sur un sujet, épineux ou non. En ce sens, l'entreprise de Gérard Bouchard est honorable et bénéfique; il faut en effet aller chercher les intellectuels, les sortir de leur mutisme. Le Québec a son lot de poètes et de penseurs qu'on aurait avantage à écouter.
En France, Alain Finkielkraut vend ses livres dans les bureaux de tabac. De son côté, Pascal Bruckner s'adapte aussi en parlant de sujets plus accessibles comme le bonheur dans ses réflexions. Le philosophe Luc Ferry a tenté sa chance et s'est même rendu jusqu'au ministère français de l'Éducation. L'hermétique Jacques Derrida adaptait ses réflexions pour Le Monde diplomatique.
Le but n'est pas ici de démontrer que la France est meilleure que le Québec à ce titre. Notre pays possède ses grands penseurs. On aimerait seulement lire et entendre plus souvent des gens comme Pierre Vadeboncoeur, par exemple.
L'infinie faute des médias
Il est clair que la convergence des médias est néfaste pour la tenue de débats; les démonstrations ont d'ailleurs été faites maintes fois. Or l'intellectuel n'a-t-il justement pas le devoir d'aller au-delà de ces grandes constatations unanimement admises? L'excuse des médias de masse ou encore de la crise contemporaine de la désillusion ne suffit plus pour comprendre le monde contemporain. De nouvelles solidarités virtuelles se tissent et les intellectuels semblent être dépassés par ces événements. Heureusement qu'il y a encore des Ignacio Ramonet ou des Gil Courtemanche pour parler du monde au lieu de commenter ses faiblesses!
En ce sens, la métaphore équestre de Gérard Bouchard tentant d'expliquer ce phénomène est surprenante: «Nous perdons le monopole de la parole parce que d'autres joueurs sur l'échiquier intellectuel ou culturel ne sont pas de notre écurie.» Ne se pourrait-il pas, au contraire, que si l'intellectuel n'est pas écouté ou très peu lu, c'est parce qu'il n'a visiblement pas pu s'adapter au monde contemporain? Le «mécontemporain», pour prendre l'expression de Finkielkraut, serait peut-être l'intellectuel autant, sinon plus, que le candidat de Star Académie?
Accuser
Comment évoquer le rôle de l'intellectuel dans la société sans évoquer la fameuse une de L'Aurore où l'écrivain français Émile Zola avait publié un pamphlet intitulé «J'accuse! - Lettre au président de la République»? À l'époque, l'affaire Dreyfus avait semé la grogne au sein d'un groupe de personnes qui n'étaient pas seulement des artistes. Écrivains, universitaires et même scientifiques avaient signé le texte qui exigeait la révision du procès de l'heure. L'engagement tenait d'une nécessité: porter la parole du peuple.
Avant de nous supplier de les écouter, les intellectuels ont le rôle de nous interpeller: ils doivent dire s'ils sont pour ou contre l'indépendance du Québec, défendre des dossiers géopolitiques controversés, remettre en question des éléments importants de notre société, donner leur avis sur les accommodements raisonnables... car, au bout du compte, l'intellectuel qui n'interpelle pas directement le président de la République ne mérite peut-être pas qu'on l'écoute.
Francis Halin, Auteur-compositeur-interprète et candidat à la maîtrise au département de langue et littérature françaises de l'université McGill
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