C'est tout à fait par hasard, en tombant inopinément sur un avis de décès publié dans Le Devoir, que j'ai appris cette semaine la disparition d'André Marier, architecte - aussi extraordinairement discret qu'il était influent - du modèle québécois.
C'était l'homme de l'ombre. J'ai eu l'occasion de le rencontrer à la fin des années à l'occasion de mon passage assez bref à la SOQUIP, Société québécoise d'initiatives pétrolières, au conseil d'administration de laquelle il siégeait après en avoir été l'un des initiateurs.
Il parlait peu, écoutait beaucoup, et cogitait encore davantage. Mais surtout, il avait la passion du Québec, une passion qu'on sentait brûlante, et un sens très développé de l'État, comme en témoignent les quelques notes biographiques que l'on retrouve sur le site de l'Ordre du Québec auquel il accédera au rang d'officier en 2001. Vous trouverez d'ailleurs une transcription de ces notes un peu plus bas.
Vu le rôle extrêmement important qu'il a joué dans la Révolution tranquille et le développement économique du Québec, il est particulièrement consternant de constater l'absence de toute réaction du Gouvernement du Québec dont il a été l'un des plus brillants serviteurs de sa génération. Difficile de trouver pire exemple d'ingratitude et de partisanerie bête et mesquine.
Évidemment, rappeler la contribution d'André Marier au moment même où le gouvernement Couillard met la hache dans le modèle québécois n'aurait pas manqué de susciter quelques questions embarrassantes.
En effet, André Marier a servi l'État québécois sous les gouvernements de Jean Lesage (PLQ), Daniel Johnson (UN), Robert Bourassa (PLQ), René Lévesque (PQ). et sous le deuxième gouvernement Bourassa (PLQ), à une époque où il existait chez les partis politiques québécois un consensus assez large sur le développement économique du Québec.
Amorcée sous le gouvernement Charest, la rupture du PLQ avec ce consensus s'accélère avec le gouvernement Couillard - vendu aux thèses néo-libérales de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan - à l'insu de la grande majorité des Québécois, incapables de la décoder tant elle est insidieuse et étrangère à leur expérience et leur culture.
Au moment même où l'aggravation de la crise économique mondiale s'apprête à faire la preuve de la nécessité vitale du modèle québécois, le gouvernement Couillard le démantèle. De mauvaises surprises attendent les Québécois, en espérant qu'il ne sera pas trop tard pour redresser la barre quand ils s'en rendront compte.
André Marier
Né à Québec en 1932, admis à la promotion de 1956 de la Faculté des sciences sociales de l'Université Laval, l'économiste André Marier consacre sa carrière au service de l'économie du Québec. Au cœur de l'administration, il est l'un des grands initiateurs et artisans de la Révolution tranquille. À la direction d'un groupe de travail, il établit la nécessité d'intégrer à Hydro-Québec les compagnies d'électricité privées, ce qui, en quelque sorte, devient « le détonateur de la Révolution tranquille ».
En 1962, André Marier participe au comité chargé d'étudier la possibilité de transférer, d'une entreprise à l'autre, les fonds de retraite des salariés. Son texte sur la sécurité de la vieillesse amènera plutôt ce comité à remettre, en avril 1964, les recommandations suivantes : la création de la Régie des rentes du Québec et de la Caisse de dépôt et placement. André Marier lui-même rédigera le texte très fouillé qui constituera le devis de la Caisse appelée à devenir le gestionnaire des fonds capitalisés du régime et, plus tard, de l'épargne collective de la population québécoise. Instrument financier principal de l'État, la Caisse de dépôt et placement doit en tirer un rendement maximal pour les épargnants, tout en favorisant l'entreprise québécoise, ce qui devient « une des pièces maîtresses d'une politique cohérente de développement économique ».
En 1964, André Marier porte son action sur les politiques de mise en valeur des ressources naturelles, vitales pour les régions. Il dirige la réflexion qui aboutira à une nouvelle formulation de la politique minière. En plus des changements qu'elle provoque sur le plan législatif et réglementaire, cette réflexion aura pour résultat la création de la Société québécoise d'exploration minière. Par la stabilité de sa dotation, cet instrument innovateur permet d'atténuer le caractère cyclique des efforts des entreprises d'exploration, lesquels efforts varient selon les bénéfices annuels obtenus par ces entreprises. La manière d'agir résultant d'une telle création, c'est-à-dire analyser systématiquement les potentialités de chacun des territoires, tranche avec celle qu'adoptaient les entreprises jusque-là. En effet, l'intervention de celles-ci consistait généralement à jalonner de façon spéculative le terrain entourant une découverte présumée ou à vérifier quel était l'intérêt d'un indice minéralisé provenant des recherches d'un prospecteur. Quant à l'orientation de l'exploration sur le territoire, elle était laissée au groupe disposant des moyens les plus modestes.
À la fin de 1967, des changements structurels de première importance découlent de la nouvelle politique de l'énergie : la création, en 1969, de la Société québécoise d'initiatives pétrolières, puis la création de la Direction générale de l'énergie. L'exploration systématique de l'important bassin sédimentaire québécois est engagée : forage fait par la Société acadienne de recherches pétrolières à l'île Brion, découverte du gisement de Saint-Flavien, mise au point de la technique du gaz porté. André Marier se préoccupe des conséquences des politiques fédérales (ligne Borden) sur les raffineries et la pétrochimie montréalaises, des écarts défavorables en ce qui concerne les prix du brut payés par rapport aux prix fixés dans le marché mondial, et de l'accès des indépendants à la propriété d'une raffinerie.
Conseiller économique à la Délégation générale à Paris, puis auprès du Conseil des ministres, il dirige la rédaction du rapport traitant de la gestion accomplie par la Caisse du fonds de réserve, l'ancêtre de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec, de même que la rédaction du rapport du Comité interministériel sur les investissements étrangers. À compter de 1976, il devient président-directeur général du Centre de recherche industrielle du Québec et, ensuite, de la Société québécoise d'initiatives agro-alimentaires. Il participe également aux conseils d'administration de nombreuses sociétés telles que CDP, Culinar, Provigo. En 1993, André Marier devient conseiller municipal à la Ville de Québec puis, en 1997, est nommé vice-président du Comité exécutif. Contribuant à l'embellissement de la ville de Québec, il s'applique à commémorer les personnes qui ont constitué la nation, lui ont donné sa culture, ont marqué son histoire ou ont fait croître son économie. En 1998, la France le fait chevalier de l'Ordre des Palmes académiques.
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