Le gros tabou

Un peuple de paresseux ?



Il y a une chose qu'il ne faut pas dire au Québec, et c'est que les Québécois ne travaillent pas assez. Lucien Bouchard l'a appris à ses dépens, et c'est maintenant au tour de François Legault de se faire taper sur les doigts. Pourtant, il a parfaitement raison.
Dans le cadre d'un échange sur les jeunes, le chef caquiste a dit: «Si les Asiatiques sont très travaillants, et que nous, on veut juste faire la belle vie, on va mal se réveiller un jour. Moi, je me dis qu'à long terme, il y a un danger.»
La réprobation a été unanime. Parce que le mythe des Québécois qui travaillent fort est tenace. Parce qu'on n'attaque pas la jeunesse. Les associations étudiantes se sont indignées. Pauline Marois aussi. Jean Charest, trop content, a accusé son adversaire de «carburer aux préjugés».
Mais il n'est pas vrai que Québec est un endroit où l'on se distingue par l'effort de travail. Et rien ne permet de croire que les jeunes sont différents de leurs aînés.
D'abord, la productivité du travail est faible au Québec. Elle est sous la moyenne de l'OCDE, au 20e rang sur un classement de 28 pays membres de cet organisme. Ce retard, la principale cause de notre trop faible niveau de vie, n'est pas dû au fait que les Québécois ne sont pas assez vaillants. La productivité dépend surtout du niveau d'investissement, du niveau d'éducation, de la structure industrielle.
Mais le niveau de vie dépend aussi de l'effort de travail. Et là, les attitudes y sont pour quelque chose. D'abord, les Québécois travaillent moins d'heures par année que leurs voisins: 65 de moins que les Canadiens, presque deux semaines par an, 178 heures de moins que les Américains, entre autres en raison d'un taux de syndicalisation élevé et du poids du secteur public.
Les Québécois sont également moins nombreux à travailler, ce qui, souvent, ne dépend pas d'eux. Mais un des facteurs explicatifs est lié aux valeurs, et c'est le taux d'emploi très bas des 55 ans et plus, 5,2% de moins qu'en Ontario, qui s'explique surtout par les retraites anticipées.
Cela indique qu'il existe dans la société québécoise des attitudes par rapport au travail différentes d'ailleurs au continent. On doit ensuite se demander si les jeunes ont hérité de ces valeurs transmises par leurs aînés.
Pour affirmer que ce n'est pas le cas, on a utilisé le taux d'emploi des 15-24 ans, qui est de 5,5 points de pourcentage supérieur à celui de l'Ontario. L'argument est faiblard. Cet écart ne décrit pas l'ardeur au travail des jeunes Québécois, mais le fait qu'ils sont plus nombreux à travailler au lieu d'étudier, à cause du décrochage et de la plus faible fréquentation universitaire.
D'autres indices montrent plutôt qu'on ne décèle pas, chez les Y ou les Z, l'émergence d'une nouvelle éthique du travail et de l'étude. On le voit aux résultats scolaires inférieurs des Québécois «de souche» comparés aux jeunes immigrants. Au fait que 60% des cégépiens n'obtiennent pas leur diplôme dans le délai normal de deux ans. Aux revendications du mouvement étudiant qui montrent que les jeunes adhéraient pleinement aux valeurs de leurs aînés: exiger de l'État et refuser les sacrifices. Au défi des employeurs, noté par une foule de spécialistes, qui doivent composer avec les exigences de conciliation travail-loisir des générations montantes.
On peut répondre qu'il s'agit d'un choix collectif valide. Mais on ne peut pas du même souffle s'indigner du fait que quelqu'un fasse état de ce phénomène et souligne qu'il a des conséquences. Au lieu de se déchaîner contre le chef caquiste, il faudrait plutôt s'étonner de fait qu'il soit le seul politicien à parler de dépassement et d'effort.


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