La mission afghane vaut-elle 18 milliards ?

L'erreur afghane



Le citoyen qui assume les frais da la mission canadienne en Afghanistan en a-t-il pour son argent? Comme nous l'a appris la semaine dernière le rapport Page [sur le coût de la guerre], cette mission monopolise d'importantes ressources; des budgets qui ne peuvent être alloués à d'autres priorités canadiennes.
Cependant, aussi intéressant soit-il, ce rapport se limite à une comptabilisation des coûts de la mission afghane. Or, il est difficile de croire que le seul but poursuivi par cette mission est de dépenser l'argent des contribuables. N'y aurait-il pas aussi des avantages à retirer de cette aventure? Pourquoi ne pas l'analyser du point de vue de l'investissement public plutôt que de laisser planer l'idée qu'il s'agit d'une dépense inutile.
Coûts-avantages
Pour l'économiste, la prise de décision rationnelle en matière d'investissement public prend la forme d'une analyse coûts-avantages. Idéalement, ce type d'analyse compare plusieurs projets et choisit celui qui offre le ratio coûts-avantages le plus élevé. Dans son utilisation la plus simple, ce type d'analyse permet au moins de s'assurer que les avantages retirés d'un investissement sont supérieurs à ses coûts.
Évidemment, s'il est relativement aisé de cerner les principaux coûts de la mission canadienne en Afghanistan, la tâche est plus délicate lorsqu'il s'agit des avantages. Les principaux coûts de l'aventure afghane sont non seulement visibles, mais pour la plupart mesurables. L'embauche de soldats, le déplacement de troupes, le matériel militaire et la réalisation de travaux de reconstruction sont faciles à comptabiliser puisqu'ils ont un prix, c'est-à-dire une valeur sur le marché. Le rapport Page arrive même à calculer le coût des pertes de vie humaine.
Quels avantages?
Les avantages, par contre, sont beaucoup moins faciles à quantifier, ne serait-ce que parce qu'on les connaît très peu et que ceux avancés par nos dirigeants sont imprécis et introuvables sur le marché. On nous a parlé abondamment de lutte contre le terrorisme, de promotion de la liberté et de la démocratie, d'aide humanitaire, etc. On en conviendra aisément, aucun de ces avantages n'est en vente libre chez Wal-Mart ou même sur Internet.
La sécurité, la liberté et l'aide humanitaire ont pourtant une valeur non négligeable aux yeux du citoyen canadien. La question est de savoir si ces avantages ont une valeur supérieure aux montants investis dans l'aventure? Dans le cas contraire, la mission afghane nous appauvrirait collectivement.
Certains invoqueront le fait que les avantages de la mission afghane sont de nature si noble qu'il s'avère impossible de leur assigner un prix, c'est-à-dire de leur attribuer une valeur. Rien n'est moins sûr. En fait, pour mesurer la valeur des avantages de l'intervention canadienne en Afghanistan, on peut toujours faire appel à l'évaluation contingente.
Disposés à payer?
L'évaluation contingente est une technique de sondage utilisée par les économistes pour mesurer et donner une valeur à certains biens ou services que l'on ne trouve ni directement ni indirectement sur le marché. Si son appellation peut rebuter, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une approche relativement simple. Elle consiste essentiellement à mesurer la disposition à payer des citoyens pour les biens ou services qui lui sont offerts.
Cette disposition à payer nous permettrait d'estimer la valorisation, pour les Canadiens, de cette intervention militaire et humanitaire. On pourrait ainsi mesurer les sacrifices qu'ils sont disposés à faire pour la soutenir et, par le fait même, fixer les balises de cet investissement collectif.
Une technique éprouvée
La technique n'est pas nouvelle: elle existe depuis plus de cinquante ans. Elle a été largement employée dans les domaines de l'environnement et de la culture. Au milieu des années 1990, Kenneth Arrow et Robert Solow -- deux Prix Nobel d'économie -- ont présidé pour le compte de la National Oceanic and Atmospheric Administration une commission visant à mettre au point des lignes directrices pour la conduite de ces enquêtes.
En somme, si la mission afghane procure aux Canadiens un quelconque sentiment de sécurité relativement au terrorisme, ou si le travail humanitaire accompli par nos troupes leur procure un sentiment de satisfaction, ou si la promotion de la liberté et de la démocratie est, comme l'avancent nos décideurs, une valeur chère aux Canadiens, on peut présumer que ces derniers seront disposés à payer, voire même à accepter une augmentation de taxes pour la maintenir. Rien n'est moins sûr cependant.
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Pierre Simard, Professeur à l'École nationale d'administration publique (ENAP)


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