C’est avec plaisir, pour ne pas dire «ravissement» que j’ai lu les textes de Richard Le Hir et Carole Jean, parus dans Vigile, et portant sur l’insupportable phénomène de la bien-pensance, de ce que j’aime appeler la «correctitude» (plutôt que la rectitude).
Si on m’autorise une petite notation personnelle, je dirai que ça fait plus de 15 ans que je réfléchis à la question de tous ces conformismes intellectuels et idéologiques, auxquels on peut apposer diverses appellations : le politiquement correct (la "political correctness", le "politically correct"), le "vertuisme", l’angélisme, la "correctitude gnangnan", et j’en oublie. J’ai écrit plusieurs textes sur cette question. J’avais même entrepris, il y a une dizaine d’années, l’écriture d’un livre sur cette horreur sirupeuse et nunuche dont les origines sont, apparemment et en partie, états-uniennes. Après la rédaction de 200 pages de texte, des raisons personnelles et liées à ma santé m’ont forcé à renoncer à mon projet de livre.
En fait, le conformisme de la bien-pensance, de la correctitude vertueuse et moralement édifiante a été, au départ, une tentative de réponse à des discours haineux et méprisants, fondés sur une correctitude d’extrême droite. Dans cette droite extrême, on déteste, déprécie, discrédite ou rabaisse les "étrangers", les Noirs, les Autochtones, les Latinos, les femmes, les gays et lesbiennes, les "losers", et une foultitude de groupes ne correspondant pas à un certain "american dream", à la Trump ou à la Cruz.
Au début, la réaction langagière d’une certaine gauche était louable. Ces braves gens voulaient combattre le mépris, le sexisme, le racisme, et aussi diverses oppressions ou discriminations. Mais, peu à peu, ces gauchistes, conformistes et rigides, ont fini par tenter d’imposer un langage lessivé, javellisé, désinfecté, sirupeux et niais. Emportés par leur effort de défense des minoritaires et des opprimés, réels ou présumés, ils ont fini par sombrer dans un dogmatisme angélique et benêt. Comme le ridicule ne tue pas, ces apôtres "gauchistes" ont persisté, et ils ne cessent de proclamer haut et fort, leur dérisoire vertu. En fait, ils proposent la pensée unique. Ils sont les seuls à avoir raison. Ils veulent "dompter" et "purifier", "langagièrement" et autrement, le brave peuple.
Si, aux USA, Trump a le vent dans les voiles, c’est, en partie, grâce à ces "missionnaires" de la vertu et du bien absolu. L’auteur français Philippe Murray parlait, de manière passionnante, de ce qu’il appelait "l’empire du bien".
Aux Etats-Unis, une vieille droite extrême somnolait plus ou moins depuis quelques décennies, tout en restant très présente (ne soyons pas naïfs). Quand Trump s’est présenté avec son langage baveux, insolent et méprisant, quand il dénigré et noirci les "victimes", réelles ou présumées, vénérées par les bien-pensants, certains citoyens, surtout de droite extrême, craintifs, déboussolés et souvent bornés, ont vécu une libération de la parole de la haine, du discours du mépris, de la grossièreté et de la discrimination. Les "angry white men" ont senti qu'on leur redonnait la parole, apparemment ou réellement.
En fait, la correctitude de la gauche gnangnan et la correctitude de la droite extrême ne cessent de se compléter, de s’entrechoquer et de se combattre. Dans les deux cas, on est confronté au dogmatisme, au fanatisme, à la rigidité et à la tentation de la pensée unique.
La bien-pensance de la gauche gnangnan reste souvent très rentable, même pour les politiciens de droite. Lorsque les libéraux de Couillard suggèrent que s’interroger sur l’immigration, c’est "souffler sur les braises de l’intolérance", nous sommes enveloppés par le pire des vertuismes et par l’interdiction de penser, de réfléchir et de poser des questions. Certaines réflexions de Justin Trudeau suggèrent aussi que critiquer la «diversité», le «multiculturalisme», le «communautarisme» ou le «ghettoïsme possible», c’est se montrer borné et intolérant. Il y a, pourtant, une tolérance sotte et dérisoire, qui finit par devenir intolérable et toxique.
Lorsque tous les partis politiques présents à l’Assemblée nationale votent en faveur de la motion de Françoise David sur la présumée islamophobie des Québécois, ils veulent, tous, nous dire à quel point eux, ils sont "corrects" et vertueux. Du même coup, nous, Québécois, vieux "racistes impénitents", nous sommes, encore une fois, pointés du doigt, et ostracisés. Le racisme est notre lot, pour toujours.
Yves Michaud a, lui aussi, été victime de cet angélisme dévastateur. Quoi de plus insupportable que cette tendance de certaines personnes vertuistes qui voient partout de l’antisémitisme, de l’intolérance, du racisme, de la xénophobie, de l’islamophobie, et toute une gamme de présumées "phobies" ! À un moment donné, je reviendrai, éventuellement, si je ne suis pas trop ennuyeux, sur cette surutilisation des termes utilisant le suffixe "phobie".
On dit, très souvent, que la démocratie, c’est le gouvernement de la majorité, dans le respect des minorités. Nous, Québécois, nous connaissons très bien, et depuis longtemps, la vieille dialectique majorité-minorités. Au Québec, nous avons, pendant longtemps, été une majorité "minoritaire", puisque le pouvoir financier, économique et linguistique était entre les mains avides des anglophones, pourtant minoritaires.
Il faut parler et reparler de ce concept de minorité. L’adoration béate des minorités est la marque de commerce des défenseurs du multiculturalisme. L‘écrivain américain Ray Bradbury a, souventes fois, crié sa crainte de voir arriver la dictature des minorités. Il faudrait en reparler.
Je me permettrai, encore une fois, de recourir à un souvenir personnel. Je suis né, en 1943, à Gatineau, pas très loin d’Ottawa. Pendant l’été 1963, j’ai obtenu un emploi comme garçon d’ascenseur dans divers édifices fédéraux. Le premier jour, nous étions 52 étudiants, remplaçant, pendant l’été, les anciens combattants qui «monopolisaient» (soit dit sans mépris) ce genre de job. Il y avait un avant-midi de formation. Un patron, un certain Monsieur Pilon, un francophone, s’est présenté. Il a demandé si tous parlaient anglais. Le oui fut unanime. Il a demandé si tous pouvaient parler le français. Deux "dissidents" ont répondu que non. Alors, le boss francophone a annoncé que la formation se ferait en anglais. Nous protestâmes, quelques-uns d’entre nous. On nous dit alors que congédiement il y aurait, si protestation il y avait. Nous nous résignâmes, par besoin d’argent.
Ce jour-là, une certaine minorité a gagné. Est-ce cela, la démocratie ? Quelles sont les minorités qu’il faut protéger ? Faudrait-il le demander au petit Justin ?
Ensuite, dans ce travail, on ne cessait de me demander : «Do you speak english ?» Je répondais toujours : «Of course, I speak english, I am a French Canadian.» Après quelques semaines, un patron francophone, très sympathique, m’a dit qu’on voulait me congédier, à cause de mon intolérable insolence linguistique. Je lui ai dit, gentiment, que j’allais présenter ma démission dans deux semaines. Je lui ai demandé de reculer le congédiement, ce qu'il a accepté. Je projetais, alors, de faire, avec mon ami Guy Thauvette, un long périple, sur le pouce, à travers les USA. Ce fut une merveilleuse décision. J’ai beaucoup appris, lors de ce voyage qui nous a amenés dans certains états sudistes, éminemment racistes, et j’ai eu la chance d’être présent, lors de la grande marche pour les droits civiques,à Washington, le 28 août 1963. J’ai partagé, symboliquement, le «I have a dream» de Martin Luther King.
La question du rapport entre la majorité et les minorités me turlupine. J’en reparlerai, un jour, si je n’ennuie pas trop Richard Le Hir et les personnes qui lisent le journal Vigile.
J’aimerais terminer le tout avec une citation du journaliste français Jean-François Kahn, tentant d’indiquer le pourquoi d’une vague extrêmement réactionnaire :
« Or, c'est le terrorisme intellectuel d'une certaine gauche bourgeoise et bien pensante, cette insupportable tendance à criminaliser le moindre écart, à diaboliser la moindre sortie de route, cette chasse obsessionnelle à la petite phrase incorrecte, cette dénonciation compulsive du dérapage aussitôt qu'on mord le trait, cette stigmatisation incessante d'une "dérive" dès lors qu'on ne pense pas comme il faut, cette traque devenue quasi délirante d'un populisme fantasmé, ce qualificatif de "nauséabond" employé à tout bout de champ, qui ont provoqué l'exaspération dont se nourrit cette vague objectivement réactionnaire, et même ultra réactionnaire.»
En fait, la bien-pensance de gauche et la mal-pensance de droite, c’est le désir d’éteindre définitivement la précieuse liberté d’expression. Nous, Québécois, francophones, nous devons refuser de nous conformer à ce vœu du silence
(À suivre, éventuellement…)
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4 commentaires
Jean-Serge Baribeau Répondre
21 avril 2016Quand je pense à la bien-pensance (ou au bien-pensisme), je me rappelle toujours la chanson de Georges Brassens "La mauvaise réputation":
***Paroles de La Mauvaise Reputation***
Au village sans prétention
J'ai mauvaise réputation
Que j'me démène ou qu'j'reste coi
J'passe pour un je ne sais quoi
Je ne fais pourtant de tort à personne
En suivant mon chemin de petit bonhomme
Mais les braves gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux
Non les braves gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux
Tout le monde, médit de moi
Sauf les muets, ça va de soi
Le jour du 14 juillet
Je reste dans mon lit douillet
La musique qui marche au pas
Cela ne me regarde pas
Je ne fais pourtant de mal à personne
En n'écoutant pas le clairon qui sonne
Mais les braves gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux
Non les braves gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux
tout le monde, me montre au doigt
Sauf les manchots, ça va de soi
Quand j'croise un voleur malchanceux
Poursuivis par un cul-terreux
J'lance la patte et pourquoi le taire
Le cul-terreux s'retrouve parterre
Je ne fais pourtant de tort à personne
En laissant courrir les voleurs de pommes
Mais les braves gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux
Non les braves gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux
Tout le monde se rue sur moi
Sauf les culs de jatte, ça va de soi
Pas besoin d'être Jérémy
Pour d'viner le sort qui m'est promis
S'ils trouvent une corde à leur goût
Ils me la passeront au cou.
Je ne fais pourtant de tort à personne
En suivant les chemins qui n'mènent pas à Rome
Mais les braves gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux
Non les braves gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux
Tout le monde viendra me voir pendu
Sauf les aveugles, bien entendu !
Jean-Claude Pomerleau Répondre
20 avril 2016L’idéologie Big Other, les autres avant les nôtres
http://blogelements.typepad.fr/blog/2016/04/intervention-de-fran%C3%A7ois-bousquet-r%C3%A9dacteur-en-chef-adjoint-de-la-revue-el%C3%A9ments-lors-du-colloque-face-%C3%A0-lassaut-mi.html
@ Richard Le Hir Répondre
20 avril 2016Sentez-vous bien à l'aise ! La suite nous intéresse au plus haut point.
Archives de Vigile Répondre
20 avril 2016M. Baribeau,
Comme j'ai aimé vous lire +++++++!!................
Quel plairir j'aurai à lire de vos textes à nouveau!
J'ai pensé à Françoise David qui incarne incontestablement ce que vous écrivez!
Cette bien-pensance est le vecteur de ce qui tend à museler les gens épris de liberté et de soif de se développer normalement dans une société démocratique.
Merci!