À ses tout débuts dans le monde politique, Karl Rove, celui qui allait devenir l'architecte des victoires de Bush père et fils et un gourou de la stratégie chez les républicains, a démontré un penchant certain pour les coups fourrés envers ses adversaires.
Sa première action-choc fut d'intercepter une invitation sérieuse au lancement de campagne d'un candidat démocrate au poste de trésorier de l'Illinois et de la transformer en une invitation, distribuée à tous les clodos du coin, à un gros party avec «bière et bouffe gratuites, filles et plaisirs garantis». Évidemment, le candidat démocrate se retrouva fort embarrassé lorsqu'il vit débarquer tous ces assoiffés dans sa chic résidence!
C'était en 1970, il y a 42 ans. C'est donc dire que Karl Rove, qui a accompagné George Bush vers la Maison-Blanche et son fils W, d'abord à la tête du Texas puis, deux fois, à la présidence, a une longue expérience en dirty tricks. C'est grâce à cette expérience qu'il est devenu une légende vivante dans les rangs conservateurs américains. Mais sa renommée a depuis longtemps traversé la frontière et les conservateurs canadiens le vénèrent aussi et suivent ses enseignements comme parole d'évangile. Ils se bousculent pour écouter ses rares conférences au Canada et se rendent régulièrement aux États-Unis pour suivre des séminaires d'organisation politique inspirés des «Rovian Campaigns» («campagnes roviennes», l'expression vient de Rove lui-même).
L'anecdote de la «bière, bouffe et filles» de Chicago est amusante et plutôt bon enfant (d'autant plus que l'affaire a finalement bien servi le démocrate qui a eu l'air d'un bon gars accueillant pour tout le monde), mais Karl Rove et ses apôtres ne se sont pas arrêtés là.
Dans sa biographie intitulée Courage and Consequence (publiée en 2010, et d'où j'ai tiré l'anecdote de Chicago et les informations qui suivent), M.Rove fait la démonstration (convaincante!) qu'en politique, l'information, c'est le pouvoir. Il l'écrit clairement: «J'ai un énorme respect pour les nerds de l'internet, pour les accros des applications, pour les génies de la techno et les gars de statistiques». Il ajoute, dans ses règles d'or «roviennes» qu'une bonne campagne doit donner à ses bénévoles tous les outils technologiques simples et disponibles. En relisant ce passage, je n'ai pu m'empêcher des penser à «Pierre Poutine» qui a acheté un téléphone cellulaire et qui a lancé, en un tour de main, des messages automatisés...
Les liens entre les républicains et les conservateurs au Canada ne sont pas qu'idéologiques. Il existe aussi des liens d'affaires très tangibles, des échanges, des contacts.
La firme torontoise RMG (The Responsive Marketing Group), engagée depuis des années auprès des conservateurs, fait aussi des bonnes affaires avec le Parti républicain grâce à se filiale Target Outreach.
D'anciens employés de RMG à Thunder Bay, en Ontario, ont affirmé au quotidien Toronto Star qu'on leur a demandé de diriger des électeurs vers de faux bureaux de votes lors du dernier scrutin, le 2 mai.
Le responsable du département de marketing politique chez RMG, Stewart Braddick, travaille pour les conservateurs au Canada depuis l'époque de Brian Mulroney. Il a aussi été impliqué dans les campagnes de l'ancien premier ministre ontarien, Mike Harris. Dans un parti politique, M.Braddick est ce qu'on appelle une «fixture».
Stewart Braddick a aussi travaillé pour les campagnes de Belinda Stronach à la direction du nouveau Parti conservateur en 2004 et pour celle de Tom Long à la tête de la défunte Alliance canadienne, en 2000. C'est lors de cette campagne que les médias avaient découvert que des centaines de militants de Tom Long... en Gaspésie n'existaient pas.
Après la création du nouveau Parti conservateur dirigé par Stephen Harper, en 2004, RMG a obtenu les contrats pour amasser, conserver et analyser les données sur les électeurs conservateurs à des fins électorales.
La firme RMG a ainsi constitué le registre appelé «Constituency Information Management System (CIMS)», la riche banque de données des conservateurs sur les électeurs.
Ces tonnes de renseignements amassés sur les électeurs (paradoxal, d'ailleurs, pour un parti qui a aboli le registre des armes à feu et le questionnaire long du recensement parce qu'ils constituent, selon eux, une atteinte à la vie privée, mais ça, c'est une autre histoire) servent à savoir où sont les sympathisants conservateurs. Utile, notamment, pour «sortir» son vote. Nous sommes ici en territoire politique.
«Sortir» son vote, c'est une chose (tous les partis le font, et pas toujours avec moralité et élégance), mais empêcher les adversaires de voter, c'en est une autre.
Avec le «Poutinegate», on quitte la tactique politique pour entrer dans la fraude électorale. Les conservateurs de M.Harper viennent de repousser les limites de l'expression «la fin justifie les moyens».
Le gourou Karl Rove peut être fier de ses élèves canadiens.
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Pour mieux comprendre le «Poutinegate» 29 février 2012
Les appels automatisés sont monnaie courante aux États-Unis depuis des années, au point de provoquer des contre-campagnes, comme celle-ci, en 2009.
Ainsi donc, un organisateur politique s’est caché sous le nom de Pierre Poutine, habitant Separatist Avenue à Joliette, pour lancer une série d’appels automatisés dans le but de tromper des électeurs du camp adverse, surtout en Ontario. Encore une fois, la réalité dépasse la fiction. Qui a dit que la politique était chose plate au Canada? Absurde, mais pas plate.
Pour suivre cette histoire, aussi grotesque que complexe, le lecteur a besoin de quelques repères. En voici quelques-uns, notamment ces trois articles du Toronto Star, qui a offert une excellente couverture du «Poutinegate» à ce jour:
- sur l’origine de l’affaire
- sur un acteur important du stratagème
- sur l’ampleur du stratagème
- sur Pierre Poutine
Toujours au Toronto Star, mon collègue Tim Harper (pas de lien avec Stephen, ni au propre ni au figuré!) suggère qu’il est plus que temps que les Canadiens réagissent. Qu’ils se fâchent même. Je ne saurais mieux dire, Tim!
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