Stephen Harper aurait dû comprendre que les ennuis commençaient dès la lecture du premier paragraphe du premier article que la Presse canadienne a consacré à sa prise de position sur le conflit au Liban. «Le premier ministre n'avait pas même débarqué en Europe qu'il s'alignait fermement avec les États-Unis et Israël dans la conflagration», rapportait l'agence de presse. À ces simples mots, le premier ministre et ses conseillers en communications auraient dû sentir qu'il y avait de l'orage dans l'air et qu'on avait déjà tiré des conclusions à propos de ses motivations.
Vu la détermination de certains journalistes à voir en M. Harper un laquais des Américains, cela importait peu : comme les experts sur le Proche-Orient auraient pu le prédire, le Canada se serait de toute façon aligné sur la Grande-Bretagne et l'Allemagne, en plus des États-Unis, au sommet du G-8. Des observateurs neutres -- par opposition à des partisans désireux de ne voir en M. Harper qu'un clone du président américain -- auraient pu souligner que son héros politique est le premier ministre britannique Tony Blair, qu'il venait de rencontrer à Londres, et non George Bush avec qui il avait eu des rapports difficiles avec lorsqu'il était le chef de l'opposition.
On aurait même pu espérer qu'un ou deux de ces observateurs note que les troupes britanniques et les troupes canadiennes combattent en Afghanistan sous l'égide de l'OTAN, de même que nous avons déjà participé à la guerre destinée évincer les talibans en 2001.
Peu importait aussi aux journalistes voyageant avec M. Harper que, à l'autre bout du débat en cours au G-8, la Russie et la France étaient loin d'être neutres. Comme le candidat à la chefferie libérale Michael Ignatieff l'a précisé dans The Globe and Mail la semaine dernière, l'acceptation du cessez-le-feu immédiat proposé par les présidents Poutine et Chirac auraient donné une victoire cinglante au Hezbollah, le groupe qui a initié le conflit le 12 juillet et que, selon des sondeurs, seulement 1 % des Canadiens soutiennent.
D'ailleurs, la déclaration de M. Ignatieff, candidat soutenu par le député Denis Coderre, selon laquelle le bombardement israélien à Cana -- la tragédie civile la plus marquante de cette guerre -- ne «l'empêchait pas de dormir», a été très peu rapportée dans les médias et ne lui a attiré pratiquement aucune critique. L'inverse est arrivé au premier ministre, après qu'il a affirmé, dans les premières heures du conflit, que la réponse israélienne était «mesurée».
Bien que les sondeurs nous disent aussi que 16 % de Canadiens veulent que notre pays soutienne Israël, une majorité accablante de nos concitoyens souhaitent que nous restions neutres. Mais la neutralité dans ce conflit n'aurait été possible que si le premier ministre avait mordu sa langue jusqu'à un cessez-le-feu éventuel.
De toute façon, ce n'est pas ce que les critiques de M. Harper exigent. Le manifeste publié par les organisateurs de la manifestation de Montréal le week-end dernier a fait abstraction des tirs de roquettes sur les villes israéliennes. Par contre, depuis le premier jour du conflit, les critiques de M. Harper demandent qu'il adopte une position effectivement pro-Hezbollah -- soit qu'il critique Tsahal et réclame un cessez-le-feu immédiat. Même l'amendement (dont on a très peu parlé) présenté par les conservateurs à un comité de la Chambre des Communes, la semaine dernière, proposant que le Canada suive la décision adoptée par l'Union européenne ce même jour et réclamant «une cessation immédiate des hostilités à suivre d'un cessez-le-feu durable», n'a pas été accepté par les trois partis d'opposition.
D'après ce qu'on entend et lit ces dernières semaines, peu importe pour certains que le Hezbollah ait été défini comme une organisation «terroriste» par un gouvernement libéral. Peu importe également que, tout comme ses commanditaires iraniens, le Hezbollah ne prône pas un État palestinien vivant en paix aux côtés d'Israël, mais ait pour objectif de créer un État islamique qui remplacerait Israël.
De plus, le rôle que joue le Hezbollah n'en est pas un de résistance à l'occupation car, selon l'ONU, il n'y a aucune occupation israélienne sur la frontière libanaise.
Je me demande aussi combien de Montréalais qui manifestaient dimanche se rendent compte qu'Israël est le seul pays dans la région qui aurait pu accueillir les Outgames. En Iran, comme ce serait le cas dans un État dirigé par le Hezbollah, c'est la peine de mort qu'on réserve aux gais et aux lesbiennes.
Comme M. Harper l'a dit dans son premier commentaire à bord de l'avion qui le menait au G-8, le Hezbollah a initié cette guerre, et la racine du conflit est son refus d'accepter un État juif au Proche-Orient.
Tout comme ses commanditaires iraniens, le Hezbollah s'est voué corps et âme à la destruction d'un État que tous les gouvernements canadiens ont soutenu depuis 1947.
Qu'est-ce qui pourrait être plus conforme à notre politique étrangère que d'appuyer le droit à l'autodéfense de cet État quand il est attaqué par un groupe cherchant sa destruction ? Et qu'est-ce qui serait davantage dans la tradition canadienne, une fois que ce conflit aura pris fin, que d'aider à reconstruire le Liban tout en s'assurant que son peuple n'ait plus jamais à payer le prix des milices armées agissant sur son territoire ?
nspector@globeandmail.ca
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