L’épisode Mourani a été disgracieux, mais il ne méritait pas l’importance qu’on lui a accordée. Il n’était pas utile de faire des procès d’intention, de soupeser la part de mauvaise foi dans l’opportunisme ou de mesurer le carriérisme à l’aune du redécoupage électoral. Il suffisait de resituer l’épisode dans l’agonie du bouchardisme qui avait fait du Bloc québécois un adversaire émasculé, plus soucieux de se faire tenir pour respectable que menaçant, plus obséquieux envers la grandeur canadian qu’intransigeant envers l’hypocrisie du régime. La collision frontale avec le multiculturalisme aura mis fin aux alibis : il n’est plus possible de faire semblant de partager le même univers de référence. La nation québécoise agissant de manière conséquente ne pouvait plus cohabiter avec la rhétorique de l’ouverture si chère au Bloc du temps qu’il se conduisait en loyale opposition.
Même décimé, il lui faudra désormais composer avec l’opprobre, subir les quolibets et se faire traiter de raciste par un régime qui tolère l’apartheid à l’endroit des autochtones et ne rate jamais une occasion de fermer les yeux sur le Québec bashing qui trouve un écho si favorable dans les profondeurs de l’imaginaire de conquête. L’indifférence hautaine va désormais faire place aux insinuations perfides. Tenu pour inoffensif depuis la débâcle orange, il fera de nouveau l’objet d’un commentaire acerbe, dès lors qu’il retiendra un tant soit peu l’attention des Québécois. Par calcul électoral d’abord : les conservateurs savent bien que les sièges que le Bloc prendrait éventuellement réduiraient d’autant les chances des libéraux de former le prochain gouvernement. Par réflexe politique fondamental aussi : le séparatisme, même vivotant, est toujours de trop, il répugne même s’il n’inspire plus la crainte. Le Canada a eu trop peur pour tolérer que l’épisode de 1995 ne subsiste même comme événement improbable, et le dégoût qu’il inspire constitue un puissant repoussoir identitaire pour une culture politique qui se représente elle-même comme un modèle pour l’humanité. Orgueil et fatuité hérités du trudeauisme, mais néanmoins encore très prégnants, pas encore métabolisés dans le « monarchist revivalism », cette posture est si confortable pour habiller le mépris qu’inspire la prétention du Québec à exister par lui-même et pour lui-même.
Le Canada peut toujours tolérer le Bloc comme reliquat verbeux condamné à disparaître ou à n’exister qu’en tant que rappel folklorique, mais il s’accommoderait mal d’un petit noyau de députés bloquistes qui dresseraient toujours et en toutes choses un rigoureux procès du régime. Nous n’avons pas besoin d’un parti qui ira défendre « les intérêts du Québec à Ottawa ». Ça, c’était la rhétorique d’imposture qui a permis à la ligne Bouchard de s’imposer avec les dégâts que l’on sait. C’est à l’Assemblée nationale du Québec que se défendent les intérêts nationaux du Québec. À Ottawa, il ne se passe rien qui puisse en quoi que ce soit les servir. À Ottawa, ce sont les forces de négation de notre existence qui sont à l’œuvre, ce sont les mille et une manières de nous intégrer dans des logiques et des processus qui accentuent chaque jour davantage notre minorisation et notre enlisement dans la dépendance.
Le Bloc à Ottawa n’a de rôle et de contribution qu’à témoigner du front du refus. Refus de se laisser représenter comme minorité. Refus de se laisser enfermer dans la logique d’un développement contraire à nos intérêts nationaux. Refus de discuter dans les catégories conceptuelles de la réduction provinciale. Refus de laisser une majorité étrangère disposer de nos impôts et de les retourner contre nous en multipliant les occasions et instruments de chantage. Des députés du Bloc n’ont de rôle qu’à titre de témoins et d’émissaires chargés d’enfoncer dans le régime le coin de fer de la volonté d’indépendance. Ce n’est pas tant leur nombre que la posture qu’ils tiendraient qui ferait des dégâts. L’indépendance est un combat qui ne doit pas hésiter à nommer ses adversaires. Un discours bloquiste mieux avisé, plus affirmé permettra de faire comprendre que l’adhésion à l’indépendance n’est pas une affaire d’humeur, de mouvement d’opinion ni même d’option constitutionnelle, c’est une affaire existentielle qui ne souffre aucun compromis sans déshonneur, avoué ou honteux.
Les indépendantistes ont tout intérêt à soutenir et provoquer une vigoureuse relance du Bloc. Il est fini le temps des ineptes déclarations de rectitude politique du genre : « on ne fera pas l’indépendance contre les autres », « le Canada est un grand pays, sa démocratie un exemple inspirant ». Nous avons eu droit à trop de balivernes aux belles heures dures du bonententisme bouchardien. Cela aura trop longtemps permis au Canada de se présenter en vertueux exemple de tolérance envers sa minorité geignarde. Un Bloc pugnace accélèrera le déclin de l’imposture orange et de ses agents si fiers de servir de matériaux minoritaires, si bien disposés à renouveler le répertoire des rôles de la tragicomédie des Qué-Can de service. Par ses seuls effets de contraste, le Bloc fera œuvre utile. Abrasif dans le propos, mais froid comme une lame de scalpel dans son analyse, son discours indépendantiste aiderait à disséquer le régime et ses impostures, à faire voir la disgrâce où elle se trouve réellement.
Le Canada est un obstacle sur notre route. Il compromet notre existence nationale par la logique même de son régime qui inspire et cautionne les manœuvres de sape contre notre Assemblée nationale et notre vie démocratique. Son ordre constitutionnel est illégitime, c’est un coup d’État. Il faudra faire l’indépendance contre lui. Il faudra l’enlever de notre route, briser le carcan et les entraves que sa Charte, ses tribunaux et ses lois nous imposent. Il faut dire les choses comme elles sont : nous ferons l’indépendance contre lui, contre ses institutions, contre ce qu’il veut faire de nous. Nous voulons l’indépendance pour nous affranchir, pas pour réaliser un nouvel épisode de Passe-Partout. Nous ferons l’indépendance pour nous faire respecter, pour faire valoir nos intérêts.
Nous voulons sortir le Canada du Québec.
Et nous n’avons rien à faire des susceptibilités de ceux-là qui consentent à notre minorisation, qui ne se voient de rôle qu’à se faire agents de dissolution de la réalité nationale et comptables d’une éternelle minimisation de nos pertes.
Nous voulons en finir avec le Canada. Parce que nous refusons sa présence, que nous la considérons toujours comme une intrusion malveillante ! Parce que chacun de ses actes, chacune de ses décisions, nous affecte et réduit notre liberté. Parce que nous le considérons comme une puissance étrangère. Il y a des limites à pactiser avec les maîtres-chanteurs, à se placer soi-même à la merci des intendants qui ne reculent devant rien, certainement pas devant la décision de se hâter lentement pour reconstruire un pont que nous paierons deux fois, pour mieux nous justifier d’avoir à traverser le fleuve à leurs conditions. Encore moins pour nous faire complices de son saccage environnemental. Son fédéralisme pétrolifère menace l’intégrité de notre territoire, le réduit à n’être qu’un point de transit, un vulgaire lieu de transbordement nous enfermant d’ores et déjà dans une logique d’intégration continentale qui réduira notre capacité d’orienter nos choix économiques et notre modèle de développement.
Le Bloc doit clarifier les termes de nos rapports avec le Canada, il doit incarner le conflit des légitimités. En dernier ressort où va la loyauté ? C’est la seule et permanente question à laquelle il doit trouver et donner réponse à toutes les occasions que lui fournit la politique canadian.
Nous avons besoin du Bloc, les indépendantistes doivent le réinvestir. La recomposition des forces passe par le renouvellement de l’interpellation politique et par le rétablissement d’une posture de combat qui permettra de se penser et d’agir dans la rupture. La mollesse et la démission morale inavouée ont assez duré. La disgrâce n’est pas là où trop de gens l’ont cherchée. Le renoncement, le farfinage et la lâcheté ont nourri suffisamment d’alibis.
C’est assez.
Il vient un temps où il faut se compter.
Éditorial - La disgrâce n'est pas là où trop de gens l'ont cherchée
Le renoncement, le farfinage et la lâcheté ont nourri suffisamment d’alibis. C’est assez !
Robert Laplante173 articles
Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.
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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.
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