Catherine de Baillon, fille du roi en Amérique

Filles du Roy


jeudi 1er novembre 2001, par Nicole Mauger, Raymond Ouimet
Août 1669, plein été sur Québec. Depuis que le Saint-Jean-Baptiste a été annoncé, un frisson d’attente passe sur la ville. C’est que l’arrivée de ce navire-là veut dire tout à la fois une chance de bonheur et un hasard de loterie. Aussi, lorsqu’il se met à grandir contre le ciel, chacun se cherche sans doute un bon prétexte pour avoir à faire du côté du fleuve. Le voilier met l’ancre, tout odorant de ces longues semaines de mer, rebondi de passagers, de bêtes et de marchandises.
Là haut, sur le pont du Saint-Jean-Baptiste, 149 jeunes femmes et jeunes filles, serrées comme un essaim contre le bastingage attendent immobiles, entre murmures et demi-silence, attentives à saisir le moindre indice de cette nouvelle existence qui vient à elles. Ces passagères forment un groupe un peu particulier : bien qu’appartenant à diverses couches sociales de la société française, la plupart d’entre elles, sinon toutes, arrivent cependant tout droit de la Salepêtrière, un hôpital de Paris dont la réputation est ambiguë. La supérieure des ursulines de Québec, mère Marie de l’Incarnation, écrira plus tard dans une lettre à son fils : « […] il y en a de toutes conditions, il s’en est trouvé de très-grossières, et de très-difficiles à conduire […] » ; elle ajoutera toutefois : « Il y en a d’autres de naissance et qui lui ont donnée [à la recruteuse] plus de satisfaction. » Les demoiselles de naissance, c’est-à-dire celles issues de la noblesse ou de la bourgeoisie, ne sont que quatre ou cinq, et l’une d’entre elles, au moins, n’a pas fait la traversée par envie d’aventure… peut-être même est-elle montée à bord du Saint-Jean-Baptiste contre son gré. Elle a 24 ans, elle est née aux Layes, en vallée de Chevreuse, du mariage d’Alphonse, sieur de la Massicotterie, avec Loyse de Marle, et elle s’appelle Catherine de Baillon.
Avec toutes ses compagnes, elle a accompli la longue traversée pour une seule et bonne raison : le souhait, sinon l’obligation de trouver un mari ! Filles de biens comme filles de peu, toutes ces demoiselles sont des filles à marier autrement appelées « filles du roi » (Parce que le roi défrayait le coût de la traversée des filles et leur versait une dot de 50 livres).

Alors, en ce jour d’août 1669, tandis qu’ils accueillent les recrues sur la grève de la basse-ville, les dignitaires de la colonie imaginent probablement une belle floraison de nouveaux foyers avant l’hiver. Ils ne doivent pas être les seuls à faire ce calcul dans cette colonie française qui manque cruellement de femmes, car bon nombre de résidents mâles se trouvent là aussi, repérant déjà, dans le lot des arrivantes, un minois susceptible de leur plaire ou quelque robuste silhouette faite pour les épauler au quotidien et leur donner une nombreuse descendance.
Un mariage de raison
Les filles du roi sont donc venues pour trouver un époux. « Les vaisseaux ne sont pas plutôt arrivez que les jeunes hommes y vont chercher des femmes, et dans le grand nombre des uns et des autres, on les marie par trentaine », écrit Marie de l’Incarnation à son fils en octobre 1669. Dès le 15 septembre, une première fille du contingent de la Salpêtrière prend mari. À partir de ce jour les cloches de Québec, Trois-Rivières et Montréal carillonnent beaucoup, car les mariages de « filles du roi » se succèdent presque tous les jours, de semaine en semaine, jusqu’au début du mois de décembre.
Ce n’est pas avant le mois de novembre que Catherine convole. A-t-elle voulu se donner le temps de bien choisir ? Toujours est-il qu’en dépit de sa dot de mille livres et de la qualité de sa naissance, autant d’atouts qui devraient tenter plus d’un notable en puissance d’épouse, aucun nobliau de la colonie ne lui offre le mariage. Peut-on imaginer que la médisance, sinon la calomnie, aient précédé l’arrivée de quelques « filles du roi » au pays de Neuve France ? Aurait-on, d’aventure, glissé à l’oreille du gouverneur ou de l’intendant, quelque révélation sur la personnalité et le passé de Catherine ? Une révélation visant à maintenir la jeune fille, pourtant bien née, à l’écart des célibataires de son rang tout en laissant à celle-ci la possibilité de trouver un roturier de bonne condition qui accepte de l’épouser ?
Dédaignée ou non par l’élite locale, Catherine fait la rencontre de Jacques Miville, de six ans son aîné, qui se qualifie du titre pompeux de « sieur des Chesnes ». Oh ! il a du bagou et une assurance certaine ! Analphabète, il a appris à signer son nom en caractères bâtonnets. Bien que roturière, sa famille est avantageusement connue dans la colonie et a joui des faveurs du précédent intendant, le grand Jean Talon, pour lequel elle a bien travaillé.
Jacques Miville des Chesnes connaît bien la Nouvelle-France qui l’a accueilli avec ses parents, son frère et ses sœurs en 1649 ; il connaît bien aussi les hommes de la forêt, ces fameux « Sauvages », ancêtres de nos compatriotes des Premières nations, les Amérindiens. Il a d’ailleurs été le parrain de l’un d’entre eux, Jacques Ouaje, baptisé à la mission de Sillery en 1667. Jacques vit avec ses parents, Pierre Miville et Charlotte Mongis, dans une spacieuse maison de la côte de Lauson, bâtie dans un décor idyllique, devant le magnifique fleuve Saint-Laurent, presque en face de Québec. Pierre et Charlotte possèdent aussi une autre résidence à la Place royale de Québec, au milieu de la société marchande.
Jacques a apparemment des projets : il veut établir le fief des Chesnes sur la Côte du Sud, sur une terre tout d’abord concédée par le marquis de Tracy à la famille Miville et que, depuis lors, l’intendant Talon lui a concédée en propre. Jacques fait sans doute état de cette perspective à Catherine. La fille du roi, qui n’a pas quitté la douce France par goût, songe probablement qu’elle pourra tenir là une belle revanche sur la vie. La terre de François Miville, le frère aîné de Jacques, a été élevée au rang d’arrière-fief en 1661 ; et Mathieu Amiot, beau-frère de Jacques, a été anobli en 1668. Il n’y a pas de raison pour qu’il en soit autrement pour le cadet des Miville.
Catherine de Baillon, seigneuresse des Chesnes… seigneuresse d’un domaine plus vaste que les terres franciliennes de son père, sa mère et même ses grands-parents réunies ! Devant tant d’espérances, Catherine se laisse convaincre. La promesse de mariage est scellée le 19 octobre 1669 devant le notaire Pierre Duquet, ami de la famille. Outre les futurs mariés sont présents à la cérémonie le gouverneur de la Nouvelle-France, Daniel de Rémy, seigneur de Courcelles, l’intendant Claude de Boutroue d’Aubigny de même que plusieurs parents et amis.
Le mariage a lieu le 12 novembre 1669, à Québec. La fille du roi ne se doute pas un instant qu’elle sera l’ancêtre de plusieurs centaines de milliers de Nord-Américains dont l’actuel premier ministre du Canada, Jean Chrétien, et la célèbre chanteuse Céline Dion !
Source :
Tiré et adapté de Raymond Ouimet et Nicole Mauger, Catherine de Baillon - Enquête sur une fille du roi, éditions du Septentrion, Sillery, Québec, Canada, 2001 / les éditions Christian, Paris, France, 2001.
P.-S.
Repères
- 1608 Fondation de Québec.
- 1663 Arrivée en Nouvelle-France du premier contingent de filles à marier.
- 1667 La Nouvelle-France compte 162 femmes et 716 hommes en âge de se marier.
- 1673 Arrivée en Nouvelle-France du dernier contingent de filles à marier.
- 1713 La Nouvelle-France se voit amputer de l’Acadie, de la Baie d’Hudson et de Terre-Neuve au profit de l’Angleterre à la suite du traité d’Utrecht.
- 1760 La Nouvelle-France passe aux mains des Britanniques


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