Canada, Québec, Ontario, … Un proto-totalitarisme souterrain persistant

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Un texte majeur passé inaperçu à sa sortie

« There’ll be the breaking of the ancient western code. » – Leonard Cohen, The Future.
«Les droits de l’homme sont soumis au bon plaisir du prince démocratique.» – Pierre Lemieux, Du libéralisme à l’anarcho-capitalisme.

On peut dire que l’expression «clause nonobstant», ou «notwithstanding clause», est connue au Canada. Surtout au Québec. Mais peu à l’étranger, sinon pas du tout.
Ce qui est certain, par contre, c’est que la nature réelle, la dimension sinistre et l’étendue écrasante du pouvoir dérogatoire que cache cette expression populaire à consonnance anodine («clause nonobstant») sont inconnues au Québec, au Canada, et à l’étranger.
L’ignorance est entretenue par
-* a) la classe politique,
-* b) la tiédeur ronronnante des massmédias,
-* c) l’absence de curiosité, de perspective historique, et aussi une lassitude politique qui se connait souvent mal en ses causes,
-* d) la persistante énigme évoquée et décrite il y a longtemps par Étienne de la Boétie (bio wiki en français) (un bon blog en anglais) (ici bio wiki en anglais) dans De la Servitude Volontaire.
L’ex-premier ministre du Canada, Jean Chrétien, un champion du pouvoir dérogatoire, sautant à la gorge d’un militant de la lutte contre la pauvreté au Canada, Bill Clennett, le 15 février 1996. Bill Clennett n’intenta pas lui-même de poursuites pour assaut sur la personne, il s’y refusa, pour ses raisons, mais un citoyen du Nouveau-Brunswick, Kenneth Russell, décida de procéder en cour supérieure du Québec contre Jean Chrétien qu’il accusa d’assaut contre la personne de Bill Clennett.
Le ministre de la Justice et Procureur général du Québec à l’époque, Paul Bégin, mit fin d’autorité aux procédures. Jean Chrétien ne fut pas ennuyé. Paul Bégin était un ardent péquiste et souverainiste québécois. Jean Chrétien a toujours été un ardent fédéraliste, un ardent anti-souverainiste – et un défenseur sans équivoque du pouvoir dérogatoire de l’article 33 dont il se dit toujours «fier» (je n’invente rien) … Il était ministre de la Justice en 1982, lors de l’adoption de la Charte canadienne des droits. Il avait déclaré, entre autres: «La Charte, c’est de la manne pour les avocats!» Pauvre type. Si ce n’était que ça …
Pour mieux comprendre de quoi je parle, c’est peut-être une bonne chose d’aller lire l’article suivant, plus court, Canada: pouvoir dérogatoire canadien et pouvoir dérogatoire hitlérien sont identiques, qui éclaire l’article que vous lisez présentement; en fait, les deux se font écho, s’éclairent l’un l’autre.
Un peu plus bas, dans le présent article, je reproduis le texte original des articles du pouvoir dérogatoire, avec les sources, et en les commentant.
Bref, si vous connaissez mal, ou pas, le pouvoir dérogatoire canadien, vous devriez le connaître. Pourquoi?
Parce que:
a) la Charte des droits et libertés du Canada est une loi constitutionnelle fondamentale qui transcende les lois du pays;
b) le pouvoir dérogatoire de la Charte, inclus dans la Charte, transcende la Charte elle-même.
Par conséquent :
c) c’est ce pouvoir dérogatoire de la Charte qui est réellement la loi fondamentale du pays quant aux libertés et aux droits fondamentaux.
Or, la seule fonction de ce pouvoir dérogatoire
d) est d’écraser les libertés fondamentales, les droits fondamentaux, l’égalité de droits et les droits à l’égalité.
C’est pour ça qu’il est important de savoir ce qu’est le pouvoir dérogatoire de la Charte canadienne des droits qui, en réalité, est une fausse Charte des droits.
*
Il y a deux choses à retenir ou qu’il faut garder à l’esprit en lisant ce qui précède et surtout ce qui va suivre:
1 – L’existence du pouvoir dérogatoire canadien et provincial dans la Constitution Canadienne témoigne par lui-même, qu’il soit ou non invoqué, de la présence organisée, active, indiscutable, d’un courant idéologique totalitaire au Canada – et ce depuis plusieurs décennies. C’est ce premier point, essentiellement, qui inspire le présent article. (Je suis tombé récemment sur ce reportage en langue anglaise de l’émission Fifth Estate, Canadian Broadcasting Corporation, diffusé en octobre 2010 sur l’Opération Profunc, un exemple parmi d’autres : Enemies of the State.)
2 – Cette cabale proto-totalitaire n’utilise pas présentement tous les outils législatifs et constitutionnels totalitaires qu’elle s’est donnés au fil des décennies parce qu’elle estime présentement – et depuis plusieurs années – pouvoir continuer à progresser sans le faire (lien: un autre exemple «parmi d’autres»).
D’une manière ou d’une autre, le proto-totalitarisme – l’arbitraire antidémocratique des pouvoirs – existe, croît, s’affirme de plus en plus au Canada, au Québec, dans les provinces. Et présentement, depuis plusieurs années, les législatures ou le Parlement omettent d’évoquer formellement le pouvoir dérogatoire parce qu’on est convaincu de pouvoir déroger aux principes fondamentaux de l’État de droit sans recourir formellement au pouvoir dérogatoire. La désintégration est graduelle, elle se fait par touches. Mais le pouvoir dérogatoire constitutionnalisé témoigne, par lui-même, par sa seule existence, d’une intention très claire qui se confirme d’épisode dérogatoire en épisode dérogatoire.
*
La Charte canadienne et constitutionnelle des droits et libertés de 1982. Le pouvoir dérogatoire, la loi d'habilitation canadienne, est l'article 33. Ironiquement, ça n'est pas sans évoquer "1933". Ou le 33ième degré franc-maçonnique. C'est fortuit, évidemment. Cliquer: elle gonfle.
La Charte canadienne et constitutionnelle des droits et libertés de 1982. Le pouvoir dérogatoire, la loi d’habilitation canadienne, est l’article 33. Ironiquement, ça n’est pas sans évoquer “1933″. Ou le 33ième degré franc-maçonnique. C’est fortuit, évidemment.
Plus bas, le libellé des pouvoirs dérogatoires proprement dits, canadien, québécois, ontarien et hitlérien, dans cet ordre. On retrouve ce même pouvoir dérogatoire dans tous les codes de droits et libertés canadiens que j’ai consultés et que j’énumère beaucoup plus bas dans cet essai; les mots-clés sont «indépendamment» (dans le texte anglais: souvent, «notwithstanding», qu’on peut traduire par «nonobstant»), «malgré», «peuvent s’écarter de», «may deviate from», etc. J’ai mis en italiques ou en caractères gras ou les deux certains passages des documents originaux, évidemment sans les modifier. Par ailleurs, les passages [entre crochets] sont des commentaires introduits par moi :
Canada. Article 33, 1, de la Charte des droits et libertés de la Constitution canadienne (1982) : « Le Parlement ou la législature d’une province peut adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente charte. »
Québec. Article 52 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (1975) : « Aucune disposition d’une loi, même postérieure à la Charte, ne peut déroger aux articles 1 à 38, sauf dans la mesure prévue par ces articles, à moins que cette loi n’énonce expressément que cette disposition s’applique malgré la Charte. »
Ontario. Article 47, 2, Code des droits de la personne de l’Ontario (adopté en 1962 ; 1990) : « Lorsqu’une disposition d’une loi ou d’un règlement se présente comme exigeant ou autorisant une conduite qui constitue une infraction à la partie I [la partie qui énumère les droits de la personne], la présente loi [« protégeant », soi-disant, les droits de la personne] s’applique et prévaut, à moins que la loi ou le règlement visé ne précise expressément qu’il s’applique malgré la présente loi [ sensée protéger les droits de la personne ... ]. »
Note. L’establishment ontarien s’est donné, entre autres, la possibilité de rétablir unilatéralement le droit de cuissage (un droit ancien qui est peut-être mythique en tant que droit selon un buzz historiographique récent) en appliquant le pouvoir dérogatoire de l’article 47 à l’article 7 du code ontarien qui «protège» contre le harcèlement sexuel.
Allez lire le code, et l’article 7 en détails. Si le « droit de cuissage » n’a jamais existé, l’establishment proto-totalitaire ontarien, lui, le rend bien réel par le pouvoir dérogatoire de l’article 47 du Code ontarien. Un ancien président du Barreau canadien, Robert McKercher, déclarait en 1984 que l’adoption du pouvoir dérogatoire dans la Constitution canadienne « nous a fait reculer de 700 ans dans notre histoire légale ».
Allemagne hitlérienne. Article 2 de la pierre angulaire du régime nazi, la Loi d’Habilitation (Enabling Act) du 23 mars 1933 (cliquer ici pour le texte complet en français) : « Les lois édictées par le gouvernement du Reich peuvent s’écarter de la Constitution du Reich [qui comprenait la charte des droits, ie: le chapitre II de la Constitution allemande dite de Weimar] dans la mesure où elles [les lois édictées] n’ont pas pour objet l’organisation du Reichtag [l'Assemblée nationale élue] ou le Reichtag lui-même. Les droits du président du Reich [à l'époque, le général Hindenburg] demeurent intacts. »
Note. Le texte de cet article 2 de la loi allemande de mars 1933 se lit comme suit en traduction anglaise : « Laws enacted by the government of the Reich may deviate from the constitution as long as they do not affect the institutions of the Reichstag and the Reichsrat. The rights of the President remain undisturbed. »
Texte original allemand du même article 2 : « Die von der Reichsregierung beschlossenen Reichsgesetze können von der Reichsverfassung abweichen [ littéralement, mot à mot : « peuvent, de la Constitution, s'écarter » ], soweit sie nicht die Einrichtung des Reichstags und des Reichsrats als solche zum Gegenstand haben. Die Rechte des Reichspräsidenten bleiben unberührt.» Le verbe allemand (von) abweichen peut se traduire par dévier de, diverger de, s’éloigner de, to differ, to deviate from, to depart, etc.
Un exemple récent et frappant (juin 2011), c’est le projet québécois de bill privé dérogatoire, « d’esprit nonobstant », Maltais-Labeaume, qui veut soustraire à la loi des Cités et des Villes du Québec les tractations occultes de la mairie de Québec avec une corporation milliardaire, Quebecor : « Malgré toute disposition inconciliable, la Ville de Québec peut conclure tout contrat découlant de la proposition faite par Quebecor Media, etc. » Il est «d’esprit dérogatoire» en ce sens qu’il n’invoque pas formellement le pouvoir dérogatoire.
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Vous allez dire peut-être : mais c’est normal, ça, c’est comme ça partout dans toutes les chartes du monde ! La réponse est : Non. Détrompez-vous; les experts légaux du gouvernement canadien eux-mêmes vous le diront :
« L’insertion d’une clause dérogatoire dans un texte constitutionnel semble être particulière au Canada et n’a apparemment d’équivalent dans aucun instrument international visant à protéger les droits de la personne ni dans aucune déclaration sur les droits de la personne faite par une démocratie occidentale.» La clause dérogatoire de la Charte, David Johansen, Philip Rosen; Division du droit et du gouvernement canadien, Février 1989, révisé en septembre 1997. Révision 2008.
Cependant, ces experts canadiens ne disent pas tout. Pour le comprendre, il faut lire attentivement le court article suivant, déjà mentionné: Canada: pouvoir dérogatoire canadien et pouvoir dérogatoire hitlérien sont identiques.
Vous direz peut-être: oui, mais il faut bien parfois apporter certaines limites aux libertés et aux droits . Vous avez raison, et c’est ce que dit l’article 1 de la charte canadienne (l’exemple classique: la liberté d’expression n’autorise pas à crier «au feu!» pour rien dans un cinéma bondé de mères et d’enfants, – ce qui figure, incidemment, dans la jurisprudence américaine); article 1 de la charte canadienne :
« La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. »
Par ailleurs, l’ex-premier ministre Jean Chrétien est toujours gentil avec les maîtres et les maîtres sont bien bons avec Jean Chrétien. Jean Chrétien s’est vu décerner en juillet 2009 l’Ordre du mérite par la reine Élisabeth II. La Maîtresse ne précise pas ce qu’il a mérité. Disons qu’il a mérité. Whatever. (Photo Reuters.)
Le hic, c’est que cet article 1, que vous venez de lire, est trompeur dans le contexte de la charte canadienne; il prend l’allure d’une sorte de decoy, un peu comme en emploient les pickpockets pour détourner votre attention.
Voici pourquoi.
«La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés» dit l’article 1 – oui, tant que le pouvoir le tolère, car l’article 33, le pouvoir dérogatoire – une prérogative du Parlement, des législatures provinciales, de l’Assemblée Nationale du Québec – transcende cet article 1 et permet d’abolir les droits et libertés indépendamment de cet article 1; sinon l’article 33 n’aurait aucune raison d’exister pour restreindre dans des limites raisonnables les droits et libertés: l’article 1, en théorie, existe justement pour ça.
L’article 33, le pouvoir dérogatoire, s’il est invoqué, ignore et abolit donc en pratique, automatiquement, toute notion de limites raisonnables – et tout recours légal; en termes pratiques, quand le pouvoir dérogatoire est invoqué, l’article 1 devient totalement nul, pfuit.
Quand le pouvoir dérogatoire s’applique, on ne peut invoquer l’article 1, ou n’importe quelle disposition de la Constitution, pour contester l’abolition (devant quoi? les recours devant les tribunaux sont alors abolis par le simple fait d’invoquer, d’appliquer, le pouvoir dérogatoire).
Cet arti­cle 1 n’existe que pour guider les juges et les législateurs, en temps normal, dans leurs décisions, et n’affecte en rien le pouvoir dérogatoire des législatu­res provinciales, de l’Assemblée nationale du Québec, du Parlement canadien.
Le pouvoir dérogatoire, lui, l’article 33, transcende les tribunaux. Tout recours au pouvoir dérogatoire met le cadenas dans la Charte et anéantit l’article 1, point à la ligne. Encore une fois, le pouvoir dérogatoire est un pouvoir exclusif des législatures et du Parlement – les tribunaux en sont exclus.
Les tribunaux en sont exclus… Mais même ces tribunaux sont aujourd’hui, de toute évidence, contaminés par le totalitarisme persistant qui sans cesse tente et réussit à marquer des points arbitraires, aberrants. Ainsi, si vous voulez savoir ce que les ministres font mijoter ou tripottent en secret, oubliez ça, c’est la Cour Suprême du Canada qui a décidé que ça vous regardait pas, dans un récent jugement datant du 13 mai 2011, dont voici un résumé mass-médiatique (SRC, Radio-Canada):
« La Cour suprême du Canada conclut que certains documents provenant du bureau du premier ministre ou des membres de son cabinet, comme des agendas, des notes ou des comptes rendus de réunion, peuvent être soustraits à la Loi sur l’accès à l’information. Dans un jugement rendu à l’unanimité [c'est rassurant!], le tribunal conclut que les cabinets ministériels ne peuvent être considérés comme des institutions fédérales au sens de la loi, comme le sont par exemple des ministères ou des agences du gouvernement. Ces cabinets, dit le plus haut tribunal du pays, ne peuvent être considérés comme faisant partie de l’institution fédérale dont ils sont responsables. »
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Au-delà des entrechats et des fions de cours, le résultat concret est limpide : on confirme que les « représentants » « élus » ne représentent pas les électeurs et ne leur doivent rien. Il suffit, dorénavant de tout foutre ce qu’on veut cacher dans l’agenda des ministres ou des cabinets. Chaque fois qu’on voudra savoir quels coups fourrés les mecs préparent, il faudra aller en cour, cas par cas, en faisant face à un préjugé qui vous est défavorable, et à des frais, des frais, des frais.
En résumé, pour en revenir à l’article 1 de la Charte des droits du Canada, cet article est un masque, un article totalitairement handicapé et abolissable automatiquement en tout temps par le pouvoir dérogatoire (l’article 33). Pour consulter plus en détails les extraits pertinents des chartes cités plus haut, cliquer ici.
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Avant de poursuivre, voici quelques citations en cascade, juste pour l’ambiance. Elles portent toutes sur le même pouvoir dérogatoire (je donne les sources et le contexte dans les notes en vrac, à la fin de l’article):
«Je dois avouer franchement que je ne crains pas vraiment la clause dérogatoire.» – Pierre Trudeau, premier ministre canadien en 1982. «Le nombre de cas où il existe une nécessité interne d’avoir recours à une telle loi est en lui-même limité.» – Adolf Hitler, mars 1933. «Le premier ministre et les premiers ministres provinciaux se sont entendus sur une soupape de sûreté qui ne sera probablement jamais utilisée.» – Jean Chrétien, ministre de la Justice canadien en 1982. «Le gouvernement n’utilisera ces pouvoirs [de dérogation] que dans la mesure seulement où ils s’avèrent essentiels à l’application de mesures nécessaires.» – Adolf Hitler, mars 1933.
On peut penser, en relisant les citations qui précèdent, à quelqu’un qui glisserait une capsule de cyanure entre les molaires supérieures et inférieures d’une personne au moment où elle bâille en déclarant solennellement qu’elle ne refermera jamais la bouche. George Orwell: «Le langage politique est conçu pour sonner vrai quand il ment, donner respectabilité au meurtre, et faire croire à la solidité des courants d’air.»
On peut bien bâiller tout son saoul, c’est agréable et ça fait du bien, mais on referme toujours la bouche un jour et le pouvoir dérogatoire constitutionnel canadien, la capsule de cyanure, est calqué sur l’article 2 de la Loi d’Habilitation allemande (Enabling Act, Ermächtigungsgesetz) du 23 mars 1933, la pierre angulaire du régime nazi, quoique des modalités d’application sans portée fondamentale puissent différer. Mais pas le résultat potentiel.
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Et toujours « avant de poursuivre », une pause thé, café, ou grosse gorgée d’eau potable fraîche, ou whatever.
La pause s’intitule (au cas où on vous demanderait à quel titre vous prenez une pause): La fable du nerd entêté et des 15 règlements aplatis (on peut lire une autre version de cette fable, qui est une sorte de nouvelle, en cliquant ici).
Le nerd entêté veut louer une chambre. Petites annonces. Une dame offre une chambre dans l’appartement qu’elle occupe. Le nerd entêté s’y rend. La chambre offerte par la dame est invraisemblablement surencombrée. Le loyer trop élevé. Ça convient vraiment pas.
La dame présente en sus une longue page de règlements tâtillons à observer, une vraie torture, numérotés de 1 a 15.
Le nerd entêté décide de pas louer, il n’aspire pas à se transformer en hamster. Autant coucher dehors.
Mais avant de prendre congé, il mentionne à la dame qu’il faudrait ajouter un seizième article à sa liste de règlements – à signer – parce que rien ne dit, dans sa charte, que le locataire à qui elle va louer s’engage à observer ces règlements.
La dame constate la chose. Sur un bout de papier, à la demande de la dame, le nerd entêté rédige un seizième règlement:
« Le locataire s’engage à respecter en tout temps les 15 règlements de la liste et à ne jamais déroger à ces derniers, et ce en toutes circonstances, à moins qu‘il désire s’écarter de ces règlements et à la condition de le mentionner. »
La dame lit ce seizième article, remercie et félicite le nerd entêté.
Le nerd entêté, malheureusement pris de remords, lui explique tout de suite que ce seizième règlement annule toute la liste, il aplatit les 15 règlements: le locataire peut «s’en écarter», y déroger, quand il le veut, la seule condition est de le dire … La dame ne s’en était pas rendu compte sur le coup.
Le seizième article tuait sa charte, mais aux yeux de cette dame, spontanément, ce seizième article était, comme elle le mentionnait, une expression de souplesse d’esprit sans grande portée pratique. Après un court échange avec le nerd entêté, la dame éclata de rire et finit par dire au nerd entêté : « Bonyeu! vous avez raison … »
- Ça m’arrive, dit le nerd entêté … Mais dans ç’cas-ci, j’pense que j’aurais dû m’taire et ne rien vous expliquer …
Je suis d’accord avec le nerd entêté.
À tout événement, ce n’était qu’une petite pause thé, café, ou whatever. L’autre version de la fable est plus conséquente.
Fin de la pause.
Maintenant, évidemment, faut passer à la morale (à l’une des morales possibles) de la fable.
«À moins que …», «s’écarter de …», ça sonne anodin, mais il n’existe pas d’«àmoinsquomètre», pas plus qu’il n’existe de «sécartomètre» : on peut s’écarter d’un point à raison d’un millimètre, comme on peut s’en écarter à raison de milliers de kilomètres.
Le verbe «s’écarter» n’est ni un nombre, ni une mesure, ni un étalon ou un instrument de mesure. Laissé à lui même, c’est plutôt un «instrument» d’immesure : il comprend potentiellement toutes les mesures imaginables «d’écartement».
Idem pour «indépendamment», «malgré», et autres entités sémantiques anesthésiantes aux allures discrètes, modestes, inoffensives et plates: tout dépend où on les trouve. Où.
Dans le cas de la fable, le pouvoir dérogatoire du seizième règlement rédigé par le nerd entêté émiettait une avalanche de 15 contraintes tâtillonnes et étouffantes (on peut le supposer), et c’était, à tout prendre, une bonne chose de se donner subrepticement le pouvoir de les émietter.
C’est exactement le contraire, évidemment, avec le pouvoir dérogatoire canadien qui, lui, vise cette fois à émietter les droits et les libertés sur le modèle de l’article 2 de la Loi d’Habilitation nazie de mars 1933.
*
Contrairement à ce qu’on dit parfois, le pouvoir dérogatoire de la charte canadienne n’est pas un pouvoir de «dernier recours» (un autre mythe) : on peut l’utiliser d’emblée, aucun contexte n’est prévu. Il existe, au Canada, une Loi des Mesures d’Urgence. Le pouvoir dérogatoire ne doit pas être confondu avec la Loi des Mesures d’Urgence. Le pouvoir dérogatoire transcende aussi cette loi tout comme il aurait transcendé la Loi des mesures de guerre elle-même, utilisée arbitrairement et sans fondement par le gouvernement Trudeau en 1970 pour réprimer le mouvement indépendantiste au Québec.
En d’autres termes, quand aux droits et aux libertés, le pouvoir dérogatoire canadien peut augmenter, étendre, la portée de ces lois et les transformer en instrument d’abus extrême: le pouvoir déro­gatoire canadien donne au Parlement canadien et à toutes les législatures provinciales, le pouvoir de met­tre sur pied des camps de concentration, des camps de travail forcé, voire des camps de la mort. Entre autres. J’utilise cet exemple parmi d’autres pour deux raisons: il est vrai et il est frappant (pour employer un euphémisme).
La polyvalence du pouvoir dérogatoire est très grande et vous pouvez «tester» théoriquement vous-même cette polyvalence en examinant attentivement à quoi s’applique l’adverbe «indépendamment» de l’article 33 de la Charte canadienne : aux articles 2, et 7 à 15. Créez vos scénarios …
*
Qu’on ait pu concevoir, élaborer et sceller dans la Constitution Canadienne un tel pouvoir d’abus n’est pas simplement “inquiétant”: c’est sinistre. Surtout à la lumière de ce qui se passe aujourd’hui dans le monde. Mais “on” en parle jamais. “On” ne nous dit jamais la vérité. Ou alors, on dope ou on noie le poisson.
Chose certaine, un inquiétant esprit totalitaire est à l’oeuvre dans les corridors et les coulisses du pouvoir au Canada et dans ses provinces depuis près d’une cinquantaine d’années (ça ne date pas seulement de 1982).
Sans jamais abolir formellement la Charte des droits et libertés du Canada, le pouvoir dérogatoire canadien permet de suspendre pour des années, entre autres le principe fondamental de l’égalité de droits, la liberté de conscience et de religion, la liberté de pensée, de croyan­ce, d’opinion, d’expression, la liberté de la presse, la liberté des communications (cette énumération est incomplète).
Tout ça, répétons-le, sans jamais abolir formellement la Charte des droits et libertés – exactement comme la Loi d’Habilitation allemande de mars 1933 n’abolissait pas formellement la constitution allemande ni les droits, libertés et devoirs des Allemands qui y étaient inscrits. On violait, on abolissait « sans abolir ». Orwell encore : « Le langage politique est conçu pour sonner vrai quand il ment … »
Le pouvoir dérogatoire permet de suspendre la liberté de la personne: c’est ce droit qui bannit l’esclavage et toute forme d’asservissement. Ce même pouvoir dérogatoire permet de suspendre le droit à la vie et à la protection contre les trai­tements cruels : le pouvoir dérogatoire permet donc de légaliser la torture et la mise à mort arbitraire: assassinat ciblé, euthanasie systématique, avortement obligatoire ou contraint, grossesse obligatoire, contrainte, ou expérimentale, etc.
Le pouvoir dérogatoire permet de suspendre la liberté de réunion pacifique et d’association; il permet de suspendre la présomp­tion d’innocence et le droit à un procès juste et équitable devant juge ou jury. Le droit aux services d’un avocat et l’habeas corpus peuvent être suspendus, ce qui permet de vous emprisonner sans raisons, incommunicado, sans le révéler, vous disparaissez.
Dans la «charte» québécoise, le principe affirmant que «la demeure est inviolable» (article 7) peut n’importe quand tomber sous le couperet du pouvoir dérogatoire (l’article 52 de la Charte québécoise), comme 37 autres soit-disant «protections» fondamentales de cette même charte québécoise.
La suspen­sion de l’égalité de droits et de la pro­tection contre les discriminations permet de nuire de toutes sortes de façons à n’importe qui, riche ou pauvre, quels que soient sa race, son sexe, sa religion, etc.
La suspension des droits à l’égalité (à ne pas confondre avec l’égalité de droits – on peut lire l’article 15 de la charte canadienne en cliquant ici – mais il faut surtout lire l’article suivant : Le Danger d’être canadien … – 3) permet tout aussi arbitrairement de conférer, par exemple, des privilèges aux privilégiés et de procéder à l’appauvrissement systématique des plus pauvres (ce qui se fait présentement sans application du pouvoir dérogatoire parce que les gens se laissent faire – relisez attentivement les points 1 et 2 plus haut et certaines remarques plus bas).
En relisant ce qui précède – et ce qui précède n’épuise pas l’ampleur théorique du pouvoir dérogatoire – on comprend que ce pouvoir permet constitutionnellement d’imposer, entre autres, l’élimination physique des «bouches» jugées «inutiles».
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Cette énumération de libertés et de droits que le pouvoir dérogatoire cana­dien permet de violer est incomplète mais elle donne une idée de l’ampleur du pou­voir en question. Il suffit simplement, par exemple, de lire attentivement les articles 2 et 7 à 15 de la «charte» canadienne dans les documents de référence (en cliquant ici) pour constater cette ampleur.
La Journée de Postdam, 21 mars 1933, durant laquelle le Chancelier allemand Adolf Hitler présenta son projet de Loi d’Habilitation et en fit la promotion. Sa démarche devait aboutir à l’adoption de la loi. Le Chancelier promit solennellement que ce pouvoir ne serait utilisé que dans le cas où une situation d’urgence se présenterait… (Source: cliquer sur l’image.)
Le pouvoir dérogatoire permet aux législatures provinciales et au Parlement fédéral canadien, en temps de paix comme en temps de guerre, n’importe quand, sans paramètre fondamental, de suspendre les libertés fondamentales et les droits fondamentaux – à toutes fins pratiques, de les abolir – quitte à renouveler l’abolition de cinq ans en cinq ans. La Loi d’Habilitation allemande était également renouvelable.
Comme le dit si bien Pierre Lemieux dans Du libéralisme à l’anarcho-capitalisme, «les droits de l’homme sont soumis au bon plaisir du prince démocratique» (non pas que je sois anarcho-capitaliste, mais la citation de Lemieux est très juste et rappelle bien La Boétie et De la Servitude Volontaire.) En fait, il n’y a pas de limites aux abus possibles.
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Le Prince démocratique élu danse en brassant le Ballon… Pierre Trudeau, photographié ici le 18 avril 1982, le lendemain de la Proclamation royale de la Constitution canadienne et du pouvoir dérogatoire de l’article 33. L’ex-premier ministre du Canada est décédé le 18 avril 2000 chez lui, à Montréal, au Québec, à l’âge de 80 ans. (Reuters, photo Andy Clark.)
On a enfoui le libellé du pouvoir dérogatoire au 33ième rang, dans la cave, loin, mais c’est lui le véritable «article 1», c’est lui le véritable maître de l’essentiel de la Charte. Ça a pourtant l’air de rien, quelques mots seulement, «… a effet indépendamment de…» Oui. Minuscule. Tout petit. Analogue à la toute pointe d’un iceberg ou d’une pyramide, analogue à une pointe de lance, analogue à une pointe de dague ou à un atome d’uranium qui attend la fission…
Les suspensions que le pouvoir dérogatoire autorise à imposer, valables pour cinq ans, sont renouvelables dans chaque loi dérogatoire, indéfi­niment, de cinq ans en cinq ans.
Le pouvoir de la Loi d’Habilitation allemande (Enabling Act) du 23 mars 1933 était également renouvelable et fut dûment renouvelé trois fois au cours des douze années d’existence du Troisième Reich.
*
On peut se refuser à le croire pour un temps, mais il faut se rendre à l’évidence. Il est tout simplement stupéfiant de constater que le pouvoir dérogatoire canadien permet, par exemple:
a) de contraindre légalement une classe de ci­toyens à travailler sans rémunération (suspension de la liberté de la personne et imposition de l’esclavage ou du servage);
b) dans des conditions inhumaines (suspension du droit à la sécurité de la personne et de la protection contre les traitements cruels ou inusités – ou protection contre la torture);
c) de leur interdire d’en parler (suspension de la liberté d’expression, de conscience, de pensée, d’opinion, etc.);
d) d’interdire aux médias d’en parler (suspension de la liberté d’expression des médias de commu­nication);
e) de soumettre ces gens à des traitements inhumains d’une nature ou d’une autre (suspension du droit à la protection contre les traitements cruels et inusités);
f) de soumettre ces gens à ces traitements sans aucun recours possible (suspension automatique des garanties juridiques – aucun droit de recours légal devant les tribunaux quand le pouvoir dérogatoire est invoqué);
g) dans le but avoué de les faire mourir – et jusqu’à la réalisation de ce but, jusqu’à ce que mort s’ensuive (suspension du droit à la vie).
Le Dictateur élu danse en brassant le Ballon… Charlie Chaplin dans Le Grand Dictateur. La Danse du Globe. La Danse de la Balloune. Autres temps, mêmes manies. (Source Wiki: cliquer)
On peut voir que le pouvoir déro­gatoire canadien donne au Parlement canadien, à l’Assemblée nationale du Québec, à toutes les législatures provinciales, le pouvoir constitutionnel de met­tre sur pied des camps de concentration, de travail forcé, de rééducation; à la limite, des camps de la mort.
C’est l’un des scénarios possibles. Tous potentiellement enchâssés dans la Constitution canadienne. Depuis 1982.
Ça n’arrivera jamais? Qu’en savez-vous?
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Il faut comprendre qu’une constitution est le contraire abso­lu d’un texte «innocent» ou «spontané» où des «erreurs» peuvent se «glisser».
Un texte constitutionnel est un texte longuement mûri, conçu à l’état de veille, expertisé par plusieurs, longuement planifié, préparé, pensé, médi­té, soupesé, où chaque mot, chaque virgule comptent. Une Constitution n’est pas un champignon. Ce n’est pas le fruit du hasard (si la chose se pouvait!). Ce n’est pas le fruit d’une distraction ou d’une bévue. C’est radicalement l’inverse.
Il faut aussi insister sur ceci: le même pouvoir existe au Québec, on l’a vu. Non seulement du fait que Québec peut toujours se prévaloir du pouvoir de dérogation canadien, mais du fait qu’il existe un pouvoir dérogatoire de «surplus», un pouvoir dérogatoire de même essence, et que la législature québécoise s’est donné: c’est l’article 52 de la Charte des Droits et Libertés de la Personne du Québec. Cette Charte québécoise et son pouvoir dérogatoire ont été sanctionnés par la législature québécoise en 1975, sous le régime du Parti Libéral du Québec dirigé à l’époque par le premier ministre Robert Bourassa, sept ans avant que ne soit adopté le pouvoir dérogatoire de la constitution canadienne!
Et les gens brassés dans le Ballon dansent, une godasse au-dessus de l’abime… Il y a les responsables et les irresponsables – c’est à la fois une polarité dynamique et une tragédie sans cesse répétée, elle semble toujours croître pour ensuite s’écraser, comme en un cycle sans fin. (Cette image est une représentation de l’arcane 22 du Tarot, Le Mat, Le Fou, The Fool – © copyright Alicia Lee Farnsworth, 1996 – 2009 – source: cliquer sur l’image).
Le pouvoir dérogatoire canadien est constitutionnalisé depuis 1982 mais, en fait, ce principe totalitaire du pouvoir dérogatoire a été systématiquement intro­duit au Canada, dans la plupart des codes de droits, depuis une cinquantaine d’an­nées. Ce qui signifie que l’intention et la planification existaient bien avant l’introduction ou l’adoption de ce pouvoir dans les codes de «droits», c’est-à-dire bien avant 1960.
D’abord dans la Déclaration canadienne des droits, Canadian Bill of Rights (1960; lire l’article 2) ; puis dans le Ontario Human Rights Code (1962; read article 47) – Code des droits de la personne de l’Ontario (1962; lire l’article 47) ; dans le Alberta Bill of Rights (bill introduit en 1972, lire l’article 2 ; ici, dans le Alberta Human Rights Act , c’est l’article 1(1), tel qu’en vigueur en 2010 et tel que diffusé par le gouvernement albertain en 2013 ) ; dans la Charte des droits et libertés de la personne, Québec (1975; lire l’article 52) , Charter of Human Rights and Freedoms, Québec (1975; read article 52) ; dans The Saskatchewan Human Rights Code (1979; lire l’article 44) ; dans la Charte des droits et libertés du Canada (1982; lire l’article 33 en allant à la page 48) (English text : Canadian Constitution Act, 1867-1982 (1982; go to page 47, read article 33) ) ; dans le Manitoba Human Rights Code, English et français (1987; lire l’article 58) ; dans le Yukon Human Rights Act, Loi sur les droits de la personne (1987 ; lire l’article 39) ; etc. .. À retenir: quinze ans seulement s’écoulent entre la fin du régime nazi en 1945 et la première apparition du pouvoir dérogatoire à l’hitlérienne, en 1960, dans la Déclaration cana­dienne des droits (Canadian Bill of Rights) …
Il va de soi « que c’est bien avant 1960 que le projet d’introduire le pouvoir dérogatoire au Canada a été conçu, ce qui nous rapproche encore plus de 1945 – en fait, et très vraisemblablement, les racines du “projet” dateraient d’avant 1945 : il y avait des mouvements facistes au Canada dans les années 1930s, avant le début de la deuxième guerre mondiale. Par ailleurs, on peut aussi penser à une sorte de «transmission de pouvoir» vers la fin de la guerre, tout autant qu’à une sorte de «maintien de pouvoir» dans les coulisses, suivi d’une «consolidation de pouvoir», ou d’une «volonté de consolidation de pouvoir» puisque le pouvoir dérogatoire est maintenant constitutionnalisé (1982), donc plus solidement implanté que jamais, presque inamovible – à moins d’un amendement constitutionnel effectué par les pouvoirs politiques eux-mêmes …
Cette boulimie, ce ballonnement gonflant, cette «obésité» proto-totalitaire témoignent, encore une fois, de la présence d’un courant totalitaire actif et efficace au Canada et dans les provinces. Cette «avidité» proto-totalitaire sourde est tout aussi inquiétante, peut-être même plus inquiétante encore que la seule inclusion des pouvoirs dérogatoires eux-mêmes sous forme de clauses dans la constitution canadienne et dans les codes de droits provinciaux qui, à tout événement, demeurent cependant l’empreinte, la trace incontournable de l’intention totalitaire canadienne.
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Il est clair qu’un courant totalitaire est à l’oeuvre depuis long­temps au Canada, qu’il persiste et s’affirme à travers le temps, qu’il laisse, comme on peut le voir, une empreinte publique évidente et indiscutable, y compris au Québec – et en Ontario, en Alberta, en Saskatchewan, etc., qu’il est présent parmi l’esta­blishment et le leadership politique, y compris parmi l’establishment autochtone qui exigeait, du moins dans les années 1980-1990s, l’obtention du même pouvoir de dérogation dans l’exercice éventuel d’une au­tonomie gouvernementale.
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Après l’éclatement de la Deux­ième Guerre mondiale, “les mouvements facistes et le racisme” au Canada “ne disparurent pas mais se retirèrent dans l’attente d’un climat plus propice”.
L’auteur canadien Lita-Rose Betcherman concluait en 1975 son ouvrage sur le phénomène du fascisme et du nazisme durant les années vingts et trentes au Canada, The Swastika and the Maple Leaf (The Swastika and the Maple Leaf, Fascist Movements in Canada in the Thirties, Lita-Rose Betcherman, Fitzhenry & Whiteside, Montréal, 1975), en disant que vers la fin des années trentes, après l’éclatement de la Deux­ième Guerre mondiale, «les mouvements facistes et le racisme» au Canada «ne disparurent pas mais se retirèrent dans l’attente d’un climat plus propice».
«Dans l’attente d’un climat plus propice» mais aussi pour préparer ce climat, et certainement pour mettre au point les outils constitutionnels et légaux indispensables à l’établissement d’un régime dictatorial, totalitaire et inhumain. Aujourd’hui, les outils sont là.
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Rappelons que c’est le recours au pouvoir de la clause dérogatoire, un pouvoir qui un jour pourrait ironiquement faire taire de force ses tenants mêmes, que réclamaient en 1988, avec une inquiétante insistance, quantité d’écri­vains québécois prestigieux, d’artistes, de chan­teurs, de syndicalistes, de professeurs, de politologues, afin de réduire l’utilisation de la langue anglaise dans l’affichage commercial au Québec. Le pouvoir dérogatoire fut utilisé. Par le gouvernement Bourassa qui, justement, en 1975, avait fait adopter par l’Assemblée nationale du Québec la Charte des droits et libertés de la personne du Québec qui comprenait le pouvoir dérogatoire, l’article 52 … Ce n’est pas un hasard.
Il s’agissait évidemment d’une utilisation «mineure» du pouvoir dérogatoire – la langue anglaise n’est en «danger» nulle part. Mais la sensation éprouvée à observer le phénomène était celle d’une masse de gens tombant dans un piège sophistiqué, celui tendu aux nationalistes et aux souverainistes québécois par un gouvernement québécois fédéraliste et nationaliste qui profitait de l’occasion pour familiariser la population, et ses élites, avec le vieux pouvoir hitlérien rapatrié en en donnant la passion et le goût, et en faisant croire à sa nécessité vitale; l’appât fut irrésistible … Chose certaine, la population, toutes strates et tendances confondues, semblait ignorer complètement la nature réelle, totalitaire, invraisemblablement démesurée, du pouvoir invoqué. Beaucoup l’ignorent encore et continuent à savourer l’appât et à «apprécier ses vertus», sans vraiment savoir ce qu’elles sont en réalité (on croit encore que la «clause nonobstant» existe «pour protéger la langue française»), et sans sentir, des décennies plus tard, le croc de l’hameçon planté dans les gencives et son embout de métal crisser entre les molaires …
Piégée d’un bord, d’un autre, la société franco-québécoise, comme toutes les sociétés conquises (et comme la plupart des communautés francophones à travers le Canada), est une société linguistiquement arnaquée depuis longtemps et qu’on a tout fait pour assimiler et faire disparaître linguistiquement. La promotion du français est entièrement légitime. Les jugements de la Cour suprême du Canada sur ces questions sont invraisemblables. La langue anglaise ne court aucun danger, surtout en Amérique du Nord. Mais tout se passe comme si la Cour Suprême du Canada peinturait toujours les Québécois dans un coin pour les forcer à utiliser un pouvoir odieux … qu’une certaine élite québécoise (des camps fédéraliste et souverainiste) s’empresse d’entériner; on notera aussi que ça fait des décennies que l’expression «Québec libre» est exclue de l’espace public, politique, massmédiatique, voire privé, et ce phénomène, comme certains autres, n’est certainement pas sans liens avec ce qui précède.
Quel est l’agenda? Qui mène vraiment le bal, et où le bal ainsi mené nous mène-t-il?
Quoi qu’il en soit, les Québécois, pas plus que les Canadiens, ne sont à l’abri de la pénétration proto-totalitaire – même si les deux populations ont tendance à le croire ou à se le faire croire.
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La Charte des droits et libertés de la personne du Québec a été adoptée en 1975 sous le régime libéral provincial de Robert Bourassa (assis, au centre). Avec l’article 52 qui permet d’annuler tout ce que la Charte garantit aux articles 1 à 38. En d’autres mots, la Charte québécoise de 1975, pas plus que la Charte canadienne de 1982 ne garantit quoi que ce soit. C’est l’inverse…
Comme on l’a entrevu, la Charte des Droits et Libertés de la Personne du Québec, tout comme la majeure partie des autres codes des droits provinciaux au Canada (sinon la totalité), se donne aussi un pouvoir dérogatoire tout aussi puissant que peut l’être le pouvoir dérogatoire fédéral (qui peut être invoqué par Québec et qui le fut en 1988).
Dans la Charte québécoise, ce pouvoir dérogatoire est défini à l’article 52.
Le pouvoir de l’article 52, soigneusement enfoui loin dans le texte de la Charte, comme c’est le cas pour le libellé de la clause du pouvoir dérogatoire canadien, domine en fait toute la charte, c’est le véritable «article 1» de la charte québécoise, tout comme l’article 33 de la charte constitutionnelle canadienne est le véritable «article 1» de cette charte. On les a discrètement placés «loin», avec un libellé d’un feutré …
Mais d’un feutré.
En marge de l’article 52, à droite, on lit: «Dérogation interdite.»
Rassurant. On est vraiment protégé.
On commence alors à lire l’article:
«Aucune disposition d’une loi, même postérieure à la Charte, ne peut déroger aux articles 1 à 38…»
C’est encore plus clair, on est protégé. On a pas besoin de lire plus loin, on ferme le bouquin, on va regarder Tout le Monde en Parle …
Non, non. Il faut poursuivre la lecture:
«…sauf dans la mesure prévue par ces articles…»
Mais c’est encore plus clair qu’on est protégé! Vous me faites perdre mon temps! Fichez-moi la paix, j’vais regarder Tout le Monde en Parle …
Non, non. Il faut poursuivre la lecture:
«…à moins que cette loi n’énonce expressément que cette disposition [de la loi qu'on va voter] s’applique malgré la Charte.»
- Quoi!?…
- Malgré …
- Tabarna …
On a énuméré et bien précisé dans les Chartes tout ce qu’on voulait pouvoir un jour écraser. Les Chartes des droits, au Canada, sont très soigneusement conçues et très précises. Document publié en 2000 par le gouvernement du Québec pour célébrer le 25ième anniversaire de la Charte des droits et libertés de la Personne du Québec.
*
Oui. Toutes, mais toutes les protections, tous les droits fondamentaux, toutes les libertés fondamentales de tout le monde sont abolissables au Québec – comme n’importe où au Canada. (Est-ce que tout le monde en parle?)
L’article 52 se lit donc comme suit:
«Aucune disposition d’une loi, même postérieure à la Charte, ne peut déroger aux articles 1 à 38, sauf dans la mesure prévue par ces articles, à moins que cette loi n’énonce expressément que cette disposition s’applique malgré la Charte.»
Ce pouvoir dérogatoire évoqué à l’article 52 permet de suspendre, entre autres, le droit à la vie, à la sûreté, à l’intégrité, à la liberté de la personne.
Il permet d’abolir la personnalité juridique, la liberté de conscience, de religion, d’opinion, d’expression, de réunion pacifique, d’association, le droit à la sauvegarde de la dignité, au respect de la vie privée, à la jouissance paisible de ses biens, le droit de disposer librement de ses biens.
Le droit au secours (l’article 2) quand la vie est en péril est abolissable, tout comme le devoir de «porter secours à celui dont la vie est en péril… à moins d’un risque pour [la personne qui porte secours] ou pour les tiers ou d’un autre motif raisonnable».
Demandez-vous pourquoi on pourrait vouloir suspendre cet article 2. Posez-vous des questions. Ne vous contentez pas de réactions ultra-courtes.
La demeure inviolable de l’article 7 devient violable.
On peut suspendre la protection de l’article 8 qui dit que «nul ne peut pénétrer chez autrui ni y prendre quoi que ce soit sans son consentement exprès ou tacite». Ça, ça s’appelle légaliser le break and entry, le cambriolage, le pillage, le vol institutionnels.
Demandez-vous dans quels buts on pourrait vouloir suspendre cet autre article (9.1), qui dit que:
«Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.»
La présomption d’innocence, l’habeas corpus peuvent être suspendus.
L’article 52 permet de suspendre la protection contre de multiples formes de discrimination, comme le harcèlement discriminatoire.
L’énumération qui précède n’est pas exhaustive.
«C’est le corps de l’État, dit Vaslav, … c’est la forme de nos vies.» (Clive Barker, Livre de sang – Dans les collines, les Cités.)
*
Il faut attribuer la présence, le «plantage» de cette infâmie proto-totalitaire (le pouvoir dérogatoire) au Canada, à l’ «infiltration» d’un groupe puissant et patient partageant, depuis longtemps et partout, les mêmes intentions et la même vision du monde. La même vision du monde que celle qui permet à la présidence américaine, tout particulièrement depuis George Bush et Dick Cheney, de «suspendre», de contourner l’autorité du Congrès et la Constitution américaine, et même les amendements américains (la «charte des droits et libertés» des Étatsuniens) en recourant systématiquement à la dérogation par «executive orders». Il faudrait aller voir du côté de la fameuse opération US d’après-guerre, l’opération «Paperclip», à la faveur de laquelle l’élite nazie fut rapatriée et intégrée au sein de l’establishment nord-américain; on n’a pas rapatrié que les acteurs.
*
Les Québécois, tout autant que les Canadiens, devraient s’interroger.
Normalement, ils devraient s’enrager, mais ça …
Qu’on soit «souverainiste», «fédéraliste», «de souche», «pas de souche», ceci ou celà, il est clair qu’on est tous, depuis longtemps, dans le colimateur du Grand Avide, des Grands Shafteurs Totals. En fait, on l’est à l’échelle de la planète – et au Canada et au Québec aussi.
La toile d’Araignée du Grand Avide s’étend. Depuis longtemps.
Le jour où les gens vont en prendre conscience, le jour où on va se réveiller, le jour où on va commencer à sentir la pression de la botte dans le dos et commencer à résister, c’est ce jour-là qu’on va commencer à comprendre pourquoi les Grands Shafteurs se sont donné les Grands Pouvoirs légaux et constitutionnels dont cet article parle. Parce que ce jour-là, les Grands Shafteurs n’auront plus le choix, ils devront recourir à ces Grands Pouvoirs au grand jour, ouvertement, pour poursuivre leurs buts.
Présentement, bon an mal an, on les laisse nous piller, ou nous pille-niquer (pour eux, c’est un pique-nique), ils n’ont donc pas besoin d’y recourir.
Pas encore.
Mais les outils rutilent sur l’établi du Grand Avide, cet insatiable Grand Menteur.
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Notes en vrac
1
Si vous lisez attentivement la Déclaration universelle des droits de l’Homme des Nations-Unies à la lumière de l’article 33 (le pouvoir dérogatoire de la Constitution canadienne de 1982 – la “Charte des droits“), vous constaterez que le pouvoir dérogatoire canadien permet d’écraser l’équivalent de 18 des 30 articles de la Déclaration universelle, soit les articles 1 à 12 inclusivement, 17 à 20 inclusivement, et les articles 26 et 29. C’est la même chose, entre autres, mutatis mutandis, avec le pouvoir dérogatoire (l’article 52) de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.
2
Proto-totalitaire: “proto”, du grec “prôtos”, signifie “premier”, “primitif”, “rudimentaire”. Ce que j’appelle ici “proto-totalitaire”, c’est ce qui recèle à l’état premier, mais pas nécessairement rudimentaire ou primitif, des caractéristiques totalitaires applicables à l’organisation des sociétés ou des groupes; ces caractéristiques sont appelées à se développer et à acquérir une puissance contraignante croissante. Je fais une différence entre “proto-totalitaire” et “pré-totalitaire” mais les deux termes ne s’excluent pas et n’indiquent pas nécessairement ou exclusivement une succession de degré non plus, en fait ils peuvent être contemporains l’un à l’autre et se recouper; cependant, le premier désigne un ensemble de caractéristiques idéologiques, de lois, de courants d’opinion, de comportements, de tendances sociales alors que le second implique, ou prédit implicitement, la réalisation prochaine d’un État totalitaire. Le Canada me semble être quelque part entre “proto” et “pré” – peut-être plus près du deuxième que du premier. L’avenir dira.
Ma conception du totalitarisme proprement dit recoupe, dans l’ensemble, les caractéristiques du phénomène telles qu’exposées par la philosophe et politologue allemande Hannah Arendt dans son ouvrage classique, The Origins of Totalitarianism – que nous n’avons pas relu depuis des années, il faut l’admettre, mais dont les données étaient fraîches et présentes à la sensibilité et à l’esprit de l’auteur quand le texte de cet article a été écrit dans les années 1980s (il a été ré-adapté en partie ici). Le Petit Robert donne de “totalitaire” la définition suivante: “Qui englobe ou prétend englober la totalité des éléments d’un ensemble donné.” C’est court, mais ça se meuble par une méditation sur chacun des termes de la définition et sur leurs relations entre eux: chose certaine, le “complexe de l’omniprésence de Dieu” est évident ici. Qui disait que “le Diable est le singe de Dieu”? Je ne me souviens plus… Chose certaine, ce n’est plus de la prosaïque grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf dont il est question ici, mais d’une tendance étouffante et sinistre à singer l’omniprésence divine. Moins “Dieu” existe, plus son Singe prend de place et plus on gobe ses singeries. Je vous réfère ici, entre autres, à Carl Gustav Jung. Et, tiens, à René Guénon. Ça aide à mieux saisir. Ou peut-être avez-vous suffisamment bien observé l’existence et la vie pour ne pas avoir à les lire.
3
On peut lire sur le site de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse – Québec :
«Adoptée [la Charte québécoise] par l’Assemblée nationale du 27 juin 1975 et entrée en vigueur le 28 juin 1976, la Charte est une loi dite “fondamentale”, car aucune disposition d’une autre loi ne peut être contraire à certains droits qui y sont énoncés, soit les droits fondamentaux, les droits politiques, les droits judiciaires et le droit à l’égalité. Toutefois, un article de loi peut, exceptionnellement, indiquer qu’il s’applique malgré la Charte (article 52).»
“Exceptionnellement”… Ils disent tous la même chose. Il est important de souligner ici que l’expression “exceptionnellement” qu’on trouve sur le site de la Commission des droits n’a absolument aucune base juridique, c’est du vent. Pour paraphraser George Orwell, c’est une tentative de donner “des airs de modération bénigne” à un “courant d’air toxique”. Relisez l’article 52 de la Charte québécoise.
Ce qu’il faut retenir, c’est que la Charte québécoise transcende aussi les lois québécoises et que le pouvoir dérogatoire exprimé à l’article 52 transcende les libertés fondamentales et les droits fondamentaux de la Charte québécoise. En d’autres termes, la plus haute loi du Québec est cet article 52, rien de moins … Et cette plus haute loi est une épée de Damocles suspendue au-dessus de la tête de tout le monde. Cette loi tolère, pour l’instant. On nous tolère. Mais c’est cet article 52 le vrai maître de la Charte et ce pouvoir dérogatoire peut s’abattre sur elle – c’est-à-dire sur nous – à n’importe quel moment.
4
Source de quelques citations reproduites dans cet article;
“Le langage politique est conçu pour sonner vrai quand il ment, donner respectabilité au meurtre, et faire croire à la solidité des courants d’air.” (George Orwell, La Politique et la langue anglaise, 1946 – traduction de la citation: Loup K.)
“Je dois avouer franchement que je ne crains pas vraiment la clause dérogatoire.” Pierre Trudeau, 1981, premier ministre du Canada à l’époque, entourant l’adoption du pouvoir dérogatoire dans la constitution canadienne. (Entrevue avec Jack Webster, CHAN-TV Vancouver, 24 novembre 1981.)
“Le nombre de cas où il existe une nécessité interne d’avoir recours à une telle loi est en lui-même limité.” — Adolf Hitler, entourant l’adoption du pouvoir dérogatoire allemand (Loi d’Habilitation de mars 1933). (Alan Bullock, Hitler, A Study in Tyranny, Pengouin Books, Pelican Biographies, London, 1962.)
“Le premier ministre et les premiers ministres provinciaux se sont entendus sur une soupape de sûreté qui ne sera probablement jamais utilisée…” (Jean Chrétien, 1981, ministre de la Justice à l’époque, entourant l’adoption du pouvoir dérogatoire; Chambre des Communes, 20 novembre 1981.)
“Le gouvernement n’utilisera ces pouvoirs [de dérogation] que dans la mesure seulement où ils s’avèrent essentiels à l’application de mesures nécessaires.” (Adolf Hitler, sur l’adoption du pouvoir dérogatoire allemand (Loi d’Habilitation de mars 1933). Alan Bullock, Hitler, A Study in Tyranny, Pengouin Books, Pelican Biographies, London, 1962.)
5
Une autre citation que j’aime beaucoup (rapport ou pas rapport avec l’article, vous en jugerez :) :
«Si t’es tanné d’griller dans ma poêle, rien t’empêche d’aller prendre une marche dans le feu.» (C’est de Friedrich Engels. Trouvé en anglais sur internet. J’ai traduit. Je n’ai pas trouvé de quel ouvrage l’extrait pouvait provenir. Selon Engels, c’est ce que dit ironiquement le maître au prolo pour faire saisir à ce dernier l’étendue de sa liberté … C’est cependant une formule à deux tranchants. Au moins. Parce que what if le prolo, le serf, l’esclave apprend à marcher dans le feu?… )
6
Ça a pourtant l’air tout petit, cette clause du pouvoir dérogatoire, un petit bout de phrase, avec des p’tits «malgrés» apparemment anodins, un petit bout de phrase enfoui loin dans la Charte, à l’article 52 pour la «charte» québécoise, à l’article 47 pour le Code des droits de l’Ontario, à l’article 33 dans la «charte» canadienne, etc., un tout petit bout de phrase de presque rien. Oui. Tout petit. Analogue à la pointe d’un iceberg, à la pointe d’une pyramide, analogue à la pointe d’une lance ou d’une dague, ou à un atome d’uranium qui n’attend que la fission. Le fait est que c’est une épée de Damocles. Une capable.
Mais je me répète…


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