L’apologie douteuse de la colère comme principe politique de libération
18 novembre 2008
M. Desroches,
« Je montrerai ici pourquoi la colère est et demeurera encore longtemps une étape nécessaire de l’action politique des prisonniers. » nous dites-vous dans votre contribution intitulée « La colère créative des prisonniers » - Tribune libre de Vigile - 2008 11 18
Vous ne déméritez pas à cet égard, au contraire, votre démonstration est puissante, documentée, et séduisante. Elle ne manquera pas d’emporter l’adhésion d’un très grand nombre de « prisonniers », mais laissera dans le doute certains « hommes » libres. Toute la question est là, sommes-nous prisonniers et le sommes-nous dans la prison que vous décrivez ?
« (...) un prisonnier sans colère, c’est un prisonnier qui renonce à sa sortie et qui croit que la justice correspond à des limitations. »
De quels prisonniers parlons-nous ? Du meurtrier qui refuse de reconnaître son crime, ou de celui qui, forcé par la « justice » de le faire, accepte de faire une démarche pour transformer sa culpabilité en rédemption, en réhabilitation, en pardon donné et demandé, en occasion de se rapproprier sa vie, pour se pardonner à lui-même, pour pardonner à la vie, aux circonstances qui l’a fait être incapable de maîtriser, transformer sa colère, elle qui l’a fait être meurtrier.
De quelle prison parlons-nous ? De la prison punitive, de la prison supplice, ou de la prison confortable et de la prison-soin thérapeutique de la réhabilitation ? Une réhabilitation qui ne peut se faire dans la croissance, dans l’entretien de la colère. Ainsi, questionnant la colère en la transformant, tel prisonnier dans une telle prison de réhabilitation, trouve une véritable porte de sortie. Cela, en acceptant que la justice avait bien toutes les raisons de donner au meurtrier repenti qu’il devient, l’occasion et les moyens de faire le point pour que sa colère, pour que la culture de la colère, se transforme en créativité, en sérénité, en dignité réappropriée, jusqu’à assumer la responsabilité des gestes que la colère qu’il n’a pas refusée lui aura fait poser.
De quelle colère parlons-nous ? De celle qui provoque le crime qui emprisonne ? Celle qui, entretenue, valorisée, emprisonne le prisonnier dans son crime, dans le refus de s’amender, de se réhabiliter ?
Toutes des questions qui ne sont pas ici abordées, qui ne sont pas précisées, pour se situer dans l’idéalisation d’un emprisonnement supposé injuste. Tout cela renforçant l’idée que le prisonnier est forcément sanctionné pour un crime qu’il n’a pas commis, forcément question d’une juste colère. Comme si était juste la culture de la colère, de la violence qui a engendré le crime qui est ici évacué, comme s’il n’avait pas été commis. Comme si tous les prisonniers n’étaient que politiques injustement enfermés. Dans un amalgame romantique où la prison et l’emprisonnement correspondraient bien au nôtre, qui bien sûr sommes prisonniers n’ayant jamais commis d’autre crime que celui d’avoir été Conquis. Or notre emprisonnement est tout autre. Il n’est pas question de crime, nous ne sommes coupables d’aucun crime, et surtout, il est question de prison plus que confortable, d’où l’on peut sortir, aller et venir, sans problème, sans ennui, puisque l’on nous procure tout ce qu’il faut pour être bien entouré de paix et de jeux. On est loin de ce qui pousse à la colère. Et, quand il est question de nous y pousser, ce ne sera que pour mieux nous enfoncer.
Le problème est là !?
Emprisonnés que nous sommes néanmoins dans l’enfermement canadien, l’injustice de la situation serait à elle seule, capable de ne susciter que de la colère. Une colère qui seule, aurait la capacité de nous libérer de l’injustice.
« La colère est signe de santé » pour celui qui, prisonnier de sa colère, en fait le centre de sa vie, certes, la colère peut être signe de santé, mais la santé n’est pas que colère. Très utile pour l’émeute, inutile quand il s’agit d’écourter sa peine et de se réhabiliter. Ni même pour s’évader. Pour s’évader au contraire, il faudra la transformer, la métamorphoser en patients travaux, en énergie créative, en imagination. Il n’est dès lors plus question de colère, mais bien d’énergie vitale qui peut s’exprimer en bien d’autres choses qu’en colère, bien que la colère puisse être une forme d’expression, de canalisation, de manifestation de l’énergie vitale. Bien autres choses que la colère peut focaliser, emmagasiner, faire exploser l’énergie vitale. La colère du prisonnier peut être très utile pour être, à la faveur de l’émeute, un fugitif à vie, hors la loi et l’État. Elle est cependant inutile quand il est question de se situer dans la loi de la réhabilitation, dans l’État, tel qu’il se manifeste aujourd’hui, bien différent d’Hegel ou de Platon. Inutile quand il est question d’être apte et capable de se soumettre à sa loi, quand il est fondé par soi. L’État du peuple démocratique et souverain, peut être fondé hors la colère.
« La colère s’impose comme un contexte de création unique » quand il est question de préparer une évasion. Certainement pas le seul, unique, et efficace recours, quand il est question de vivre au grand jour dans l’État. « La vraie créativité », n’est pas que « force de révolte en mouvement ». La vraie créativité c’est celle qui transcende la commande, qui accepte les règles du genre, qui les intègre, les comprends intimement, les maîtrise à force de pratique, qui sans cesse remet sur le métier son ouvrage, et qui produit une oeuvre, personnelle, unique, se nourrissant parfois de révolte, parfois de sagesse, parfois d’extase, parfois de tumulte, en somme, de tous les sentiments humains et pas seulement de ceux qui provoquent ou qui se cachent sous la colère, peur, impuissance, malaise, mal-être, culpabilité, indignation et autres humiliations.
« La colère recèle toujours de l’espoir. La colère se donne un rêve. La colère peut impliquer la solidarité. » Pas toujours. Et, l’espoir, le rêve, la solidarité, ne se trouvent pas que dans la colère.
Si, malgré tout, la colère, cette « réaction violente et passagère, accompagnée d’agressivité, due à un profond mécontentement. » est l’un des moyens à la disposition des prisonniers que nous sommes, un moyen parmi plusieurs autres de canaliser notre énergie vitale, il faut évaluer sa pertinence, son à propos, en fonction de son efficacité, de notre capacité de la canaliser, et surtout en considérant qu’une fois passée cette « réaction violente passagère » il faudra prévoir ce qui advient une fois que cette énergie aura été ainsi dispersée.
Personnellement, je n’exclus pas le recours, à l’utilisation, à l’instrumentalisation de telle expression de notre énergie vitale dans la colère. Cependant, ce qui importe c’est de savoir comment mobiliser notre énergie vitale dans ce qui permet d’assurer notre libération. Cela passe dans bien d’autres choses que la colère. Cela passe par la lutte, l’implication dans la lutte, par le combat politique et démocratique électoral, cela passe par les partis politiques, par le politique, par les programmes politiques, et tout ce qui s’en suit.
Et tout cela n’est pas l’estime des autres s’opposant à l’estime de soi. N’est pas non plus, s’en remettre, par dépit, par paresse, par manque d’enthousiasme ou de constance, par romantisme, à des messies, à la messianique colère du peuple, toutes choses qui ne me semblent pas congruentes, responsables, ni logiques et le contraire n’a rien à voir pour autant avec un manque de pugnacité, de vigueur, de vitalité ou de détermination.
« (..) un prisonnier sans colère, c’est un prisonnier qui renonce à sa sortie » nous sites vous. Cela peut être tout à fait faux si le prisonnier de la colère se trompe de prison. D'autant quand il se trouve dans une prison qui permet la sortie, justement quand la colère a pu se dissoudre pour n'être plus que de l'énergie vitale autrement canalisée.
Ce n'est pas la colère qui nous a fait prisonnier. Ce sont des conditions adverses qui nous ont fait être Conquis par un Empire concurrent du peuple de France dont nous étions partie. Ce n'est pas davantage un manque de colère qui nous fait prisonnier. Au contraire, les explosions de colère nous ont toujours mis les fers aux pieds.
Nous sommes toujours prisonniers parce que des conditions adverses, parce qu'une force indue supérieure en nombre, exercée contre nous depuis, nous a empêché de fonder démocratiquement un État valide émanant du peuple souverain que nous sommes. Cela suscite à bon droit notre indignation. Notre énergie vitale nous a toujours permis de survivre à l'assimilation, de nous constituer en parti, de nous rapproprier notre économie, de nous exprimer favorables en presque majorité à la création de l'État souverain du peuple souverain que nous sommes. Cette énergie vitale nous fait nous opposer à l'État unilatéral du Canada. Un État abuseur qui tente de nous acculer à la colère pour mieux nous enfoncer.
Reste à trouver le moyen de cesser de nous diviser, afin que cette énergie vitale réunie s'incarne, démocratiquement, sans violence ni agressivité, dans un État valide émanant du peuple démocratique et souverain que nous sommes.
Comment une « réaction violente et passagère, accompagnée d’agressivité, due à un profond mécontentement. » pourrait-elle, cette fois, nous permettre d'avancer vers la sortie de la prison qui est la nôtre ? Là est la question que je pose ?
En attendant, qu'est-ce qu'on fait ? On attend, on rêve, ou, on travaille, on se prend en main, on travaille à l'élection du Parti québécois souverainiste ? On choisit la politique du pire en participant à la réélection du Premier ministre démissionnaire, pour qui poursuive la canadianisation du Québec, en espérant qu'ils seront assez stupides pour provoquer, ou nourrir la colère du peuple ? Une colère susceptible de le faire majoritairement se soulever, intempestivement, en espérant que celle-là ne sera pas une fois encore l'occasion de nous mieux écraser ? En espérant que dans votre apologie, les jeunes y trouveront inspiration, et que les vieux comptant sur les jeunes, y trouveront enthousiasme, ou débordante et unie mobilisation y trouvent matière à venger l'écrasement dont ont été victimes leurs propres soixante-huitards Mai ou Octobre soulèvements ?
Ce qui précède est un suite des contributions suivantes :
La politique comme réservoir et déversement de la colère
Dominique Desroches - Tibune libre Vigile - 13 novembre 2008
L’apologie douteuse de la colère comme principe politique de libération
Luc Archambault - Tibune libre Vigile - 14 novembre 2008